Bonjour,
Tant que nous y sommes, poursuivons l'inventaire des soubresauts vichystes à l'annonce du projet de la première ordonnance allemande.
- Le 7 septembre 1940, de la Laurencie (délégué général auprès des Allemands en zone occupée) est informé par l'administration militaire allemande que des mesures contre les Juifs vont être prises.
Le général de la Laurencie en informe aussitôt Pétain :
Le délégué général du gouvernement français au chef de l'Etat, 8 septembre 1940 [1]
1) Aucun israélite ne sera autorise par les autorités allemandes à se rendre de la zone libre en zone occupée et ne devra, en conséquence, se présenter aux points de franchissement de la ligne de démarcation.
2) Les israélites résidant actuellement en zone occupée pourront y rester; ils seront toutefois astreints à se présenter à la police dans des conditions non encore entièrement définies.
3) Les maisons de commerce, magasins, etc…, appartenant à des israélites recevront une inscription spéciale nettement apparente, indiquant l'origine raciale de leurs propriétaires.
4) Toute maison de commerce appartenant à un israélite n'ayant pas encore rejoint les territoires occupés, sera remise en exploitation sous la direction d'une gérance.
Le document parvient à Vichy le 10 septembre. Tal Bruttmann indique "
Comme le montre une annotation sur ce courrier, le secrétariat général en informe immédiatement René Belin, Yves Bouthillier et Marcel Peyrouton, soit les ministres de la Production industrielle, des Finances et de l'Intérieur".
- 10 septembre : Conseil des ministres dont l'ordre du jour aurait été bouleversé pour examiner le "problème juif". Voir la note de Baudouin, confirmée par Peyrouton :
- 11 septembre : communiqué de presse de Peyrouton publié dans la plupart des journaux du 12 septembre (voir lien ci-dessus).
- Le 13 septembre, par le canal de la DSA (Direction des services de l'Armistice), une copie du courrier est adressée au vice-président du Conseil ainsi qu'aux Secrétaires d'Etat à la Justice, à l'Instruction publique, à l'Aviation, à la Marine et aux Affaires étrangères. En clair, l'ensemble du gouvernement est informé.
- Entre le 14 et le 27 septembre, date de promulgation de la 1ère ordonnance allemande.
Peu d'informations ont filtré sur le contenu des Conseils des ministres. Pierre Nicolle [2],
Cinquante mois d'armistice note à propos d'un Conseil de cabinet du 17 septembre :
Le conseil s'est occupé […] du statut des personnes, les textes en préparation visant mettre hors d'état de nuire un grand nombre d'individus pour lesquels des camps de concentration sont en voie d'aménagement.
- Le 25 septembre : une protestation de Paul Baudouin.
L'historien Robert Aron, Histoire de Vichy est le seul (à ma connaissance) à citer et à publier cette note de protestation adressée aux autorités allemandes :
"Le général de La Laurencie indique qu'il a été avisé par l'agent de liaison du chef de l'Administration militaire allemande que certaines mesures seraient prises très prochainement contre les israélites. [...] ces mesures porteront sur les quatre points suivants :
1° Aucun israélite ne sera autorisé par les autorités allemandes à se rendre de zone libre en zone occupée;
2° Les israélites résidant actuellement en zone occupée pourront y rester. Ils seront toutefois astreints à se présenter à la police dans des conditions nettement définies.
3° Les maisons de commerce et magasins appartenant à des israélites recevront une inscription spéciale, nettement apparente, indiquant la non-aryanisation de leurs propriétaires.
4° Toute maison de commerce appartenant à un israélite n'ayant pas encore rejoint les territoires occupés sera mise en exploitation sous la direction d'un gérant.
Sans aborder le fond du problème qui se trouve ainsi soulevé par les autorités d'occupation, je vous signale que la décision prise par le général me semble appeler de notre part les observations suivantes :
Les mesures que l'Administration allemande envisage d'appliquer dépassent l'exercice des droits reconnus à la Puissance occupante dans leur ensemble ; elles tendent à créer dans une partie du territoire français un régime d'exception et, par un acte unilatéral des Autorités allemandes dans un domaine qui relève des seules Autorités françaises, elles rompent l'unité administrative de la France, unité pourtant reconnue par la Convention d'armistice.
Il est un autre point qui doit également retenir notre attention. Dans l'application des mesures en question, sur quelle base les Autorités allemandes proposent-elles d'établir la discrimination qu'elles envisagent ? Les caractéristiques raciales, la terminologie des noms sont des critères souvent incertains. Quant à la base confessionnelle, il est difficile de l'invoquer en France où les individus ne sont pas tenus de déclarer officiellement la religion à laquelle ils appartiennent, où l'état civil ne mentionne pas la confession à laquelle les ascendants ont appartenu. Cette incertitude risque de donner lieu à des incidents regrettables.
Signé : Baudouin.
(A suivre)
Bien cordialement,
Francis.
[1] Document déposé aux archives du Centre de documentation juive contemporaine.
[2] Pierre Nicolle, chef de cabinet de Pierre Laval.