... quant au caractère de simple prétexte que revêt cette ordonnance pour justifier le statut des Juifs...
après la guerre
Avec mon esprit de l'escalier, poussé vers la marche supérieure par la dernière et retentissante intervention de Serge Klarsfeld dans le débat sur Vichy, je viens juste d'y penser : non seulement les deux textes n'ont rien à voir, mais l'usage du premier pour justifier le second date des procès de la Libération... un point à vérifier cependant, au moyen des documents d'époque, notamment les journaux personnels non trafiqués.
Or celui de Baudouin l'est, sur ce point, de toute évidence :
Lundi 30 septembre
(...)
Le conseil de cabinet, de 17 à 19 h, est consacré à l'étude du statut des Juifs qui doit être discuté au conseil des ministres de demain. Il est maintenant évident que le seul moyen d'empêcher l'application par les Allemands en zone occupée de mesures draconiennes antijuives -la Délégation à Paris nous a annoncé qu'elles étaient imminentes- est d'édicter un certain nombre de mesures beaucoup plus modérées et conçues dans un autre esprit, qui seront applicables à toute la France.
La partie en gras me semble un pur ajout de la Libération. Pour au moins deux raisons :
-la question a pris entre-temps beaucoup plus d'importance; en 1940, l'antisémitisme est une question parmi bien d'autres, justifiant qu'on note ce qui se passe mais non qu'on se fende de justifications;
-les mesures allemandes sont noyées dans un flou chronologique : en fait, La Laurencie a eu tout le temps d'informer Vichy de l'ordonnance du 27 septembre, qui ne saurait donc être dite "imminente". En revanche Baudouin, lorsqu'il réécrit son journal en fonction des accusations de 1944-45, hésite sans doute à en faire LA justification, tant elle ressemble peu à un statut et bien plus à des mesures de sécurité d'une armée d'occupation au nom d'une idéologie qui fait des Juifs un ennemi (il n'est question que de fichage, des individus comme des entreprises, et nullement d'interdits professionnels).
C'est la rumeur pétainiste d'après guerre, encouragée par le manque d'études sérieuses pour la contredire, qui transmuera peu à peu l'ordonnance allemande du 27 septembre en un statut des Juifs de zone nord justifiant l'allumage d'un "contre-feu". |