Bonsoir François, bonsoir à tou(te)s,
Lorsque mon pote Jacques, comme tu dis, perd les pédales [1], il est temps de cesser nos monologues en duo et de recentrer le débat sur l'essentiel : la politique foncièrement antisémite de Vichy.
Commençons par un scoop ... comme tu les apprécies !
Moi, Franleu, pseudo-historien de pacotille, vient de mettre en lumière une petite phrase qui en dit long. Il est écrit dans l'acte d'accusation retenu contre Pétain lors de son procès :"une législation raciale imitée à celle de l'Allemagne". Il est bien écrit "imitée" et non "imposée". La défense de Pétain insista lourdement sur les pressions allemandes. Malheureusement l'historiographie a repris cette hypothèse jusqu'au jour où les historiens Marrus et Paxton démontrèrent magistralement que l'arsenal législatif contre les Juifs était de la seule initiative de Vichy et ne devait rien aux Allemands.
A mon tour d'émettre une hypothèse qui tient la route ! Non seulement, les mesures antisémites prises par Vichy ne devaient rien aux Allemands mais incita ces derniers à accélérer le mouvement en zone occupée en singeant leurs "collègues" de l'hôtel du Parc. En 1940, les Allemands avaient d'autres préoccupations notamment celle de soigner leur image de marque auprès des populations en zone occupée et de paraître comme des gens civilisés, "bien propre sur eux".
En Belgique, par exemple, l'ordonnance [2] portant sur la définition de la notion de "Juif" est publiée le 28 octobre 1940. Remarquons que cette notion est moins restrictive que celle du "Statut" à Pétain. Remarquons aussi que Eggert Reeder, chef de l'Administration militaire en Belgique, écrivait, fin 1940, "La question juive ne joue pas, et de loin s'en faut, un rôle semblable à celui qu'elle joue dans les autres pays européens. (...) Il est cependant nécessaire de prendre contre les Juifs un train de mesure qui les mettent dans une situation semblable à celle que connaissent les Juifs des pays occupés ou influencés par l'Allemagne [3]
Poursuivons par une "anecdote" ! En cherchant dans mes caves humides [4] des munitions à propos de la neutralité belge, je suis tombé par hasard sur le témoignage d'une intellectuelle belge (classée comme juive) que l'exode de mai 1940 avait poussé vers le Sud de la France. Les Belges s'y croyaient en sécurité jusqu'à ce que les forces de l'ordre - celles de Vichy - commencèrent à traquer les personnes portant un nom à consonance juive. Ils furent nombreux à terminer leurs séjours dans les camps tristement célèbres (disons plutôt très largement méconnus) de la France de Vichy.... avant de prendre la route vers les camps d'extermination en Allemagne. Cette intellectuelle et sa famille réussit à rejoindre la zone occupée où - leur avait-on dit - les Juifs n'étaient pas inquiétés outre mesure. Bien entendu, nous savons qu'il s'agissait d'une tranquillité toute provisoire.
Là où je veux en venir ! En 1940, il valait mieux séjourner en zone administrée par les Allemands qu'en zone administrée par les serviteurs de Pétain.
Une comparaison entre les mesures édictées par Vichy et celles édictées par Berlin indique que les Allemands étaient poussés dans le dos dans une course initiée par Vichy pour "à qui sera le premier".
Ceci dit, connaissant la cadence infernale avec laquelle est promulguée toute une série de lois et d'arrêtés antisémites au point d'inquiéter Otto Abetz, quelle importance attacher encore à la datation du Statut des Juifs qui, formellement, est bien daté du 3 octobre, qu'il était sur la table du Conseil du 1 octobre - personne ne l'a nié (Baudouin précise même que Pétain était partisan de le durcir) - et qu'enfin il fut publié le 18 octobre.
Bien cordialement,
Francis
[1] Mon "pote" qui perd les pédales, c'est toute la machinerie de LdG, alimentée par une dynamo, qui risque de se gripper.
[2] Devant le manque de coopération des autorités belges et face au refus constant des Secrétaires généraux de publier les textes des ordonnances allemandes dans le Moniteur belge (Journal Officiel), les Allemands furent contraints de créer un "Verordnungsblatt" parallèle au Moniteur.
[3] in Jahresbericht
[4] Veuillez noter que François Delpla a risqué être traduit en Justice pour incitation au suicide. Fort heureusement, en cet été précoce du mois de novembre, mes caves humides n'étaient pas encore suffisamment glaciales pour y contracter une méchante et mortelle pneumonie. |