Je ne sais pas s’il existe des sources inaccessibles susceptibles d’éclairer notre lanterne. Cependant, je trouve que les documents de la main du chef du SR postérieurs à la guerre sont d’une grande aide pour tenter d’en dresser un portrait psychologique sommaire – ce que j’ai tenté de faire rapidement dans mon livre. En effet, on connaît, notamment grâce aux témoignages de Bernard Barbey, le côté extraverti, sanguin, impulsif, anxieux de Masson. Ces traits de caractères se retrouvant parfaitement dans sa correspondance d’après-guerre – notamment les lettres et rapports qu’il établit pour se justifier de sa relation avec Schellenberg –, il y a fort à parier que les autres qui en ressortent ne soient pas feints (sens aigu de l’honneur, honnêteté, soif de reconnaissance). Cette constatation, complétée par d’autres, est également, en ce qui me concerne, de nature à confirmer sa version des faits. Masson avait certainement un côté intrigant, mais je ne pense pas que mentir à ses supérieurs et à ses camarades faisait partie de ses armes. Il n’a d’ailleurs jamais dissimulé ses sentiments personnels envers « Schelli ».
A mon sens, Masson n’a pas été dupe de Schellenberg. Tous deux avaient un intérêt dans cette relation et le chef du SR suisse a obtenu presque tout ce qu’il demandait. A l’inverse, il ne semble pas qu’il ait laissé échapper quoique que ce soit de contraire à l’intérêt de la Suisse. L’épisode le moins glorieux de la ligne est à porter exclusivement au passif de l’officier vaudois, soit la demande de confirmation de l’alarme Wiking par la voie Schellenberg. Je ne vois dans la ligne Masson-Schellenberg aucune intoxication ou recherche d’informations sensibles, mais une prise d’options, l’avancée d’un pion sur un échiquier de la part du jeune général SS qui aboutira, à court terme, à sa rencontre avec le Général Guisan (que personne n’a forcé) et, à plus long terme, aux coups de pouce de Masson durant l’après-guerre. En d’autres termes, les grosses erreurs, le chef du SR suisse les a faites tout seul.
J’ai l’impression que Masson s’est écroulé face aux critiques lorsque ses relations avec Schellenberg sont apparues au grand jour, alors qu’il avait l’impression de servir au mieux son pays et qu’il avait un profond besoin de reconnaissance. On l’a accusé d’être et de faire le contraire de ce à quoi il aspirait. Je n’ai pas l’image d’un Masson de la première moitié de la guerre affaibli psychologiquement et seul (il me semble qu’il était apprécié humainement à l’EMA et qu’il y avait des amis).
Cordialement
CR |