J’ai lu avec beaucoup d’intérêt le livre de Jean-Marc Berlière et Franck Liaigre. Il s’agit d’un travail sérieux, très documenté et j’y ai personnellement appris beaucoup de choses.
Malheureusement, leur approche me paraît biaisée :
Les auteurs parlent des « Bataillons de la Jeunesse » comme d’une création indépendante, constituée par des jeunes n’ayant aucune formation militaire et qui par conséquent vont réaliser des attentats inopérants. Ils vont être arrêtés par les brigades spéciales, livrés aux Allemands et exécutés. Fin des Bataillons de la Jeunesse.
Or, dans la réalité, il est incontestable que le Parti communiste s’est efforcé de mettre sur pied à partir de juillet 1941, et à partir d’une OS déjà existante et sur laquelle on a peu de détails, le maximum de militants susceptibles d’engager une action armée. Il est certain que les premiers groupes actifs étaient constitués de « jeunes ». Etait-ce pour cela une organisation indépendante qui s’appelait les « Bataillons de la Jeunesse » ? Je suis un des rares survivants de cette époque et j’avais précisé à Franck Liaigre qui m’avait interviewé, que lorsque j’ai adhéré en août 1941, on m’a précisé que je ferai partie d’une organisation appelée « OS ». J’ai toujours entendu à l’époque parler de cette dénomination. De même, les rapports des BS dont j’ai eu connaissance. Il est possible que l’on ait utilisé ce terme pour désigner les jeunes, mais manifestement il ne s’agissait pas d’une organisation autonome Si un grand nombre d’opérations ont été menées par des groupes exclusivement composées de jeunes, beaucoup l’ont été en collaboration avec des adultes et cela depuis le début. Les souvenirs de Pannequin décrivent la même situation.
Il ne s’agit pas simplement d’une question de dénomination : en effet le Parti communiste s’est efforcé difficilement de recruter des éléments dans toutes ses organisations dans toute la France et le recrutement a dépassé les arrestations. Lorsque se produisent les arrestations suite à l’échec de l’attentat contre l’exposition antibolchévique, que les auteurs décrivent comme la fin des Bataillons, force est de constater que les effectifs étaient plus nombreux, les opérations mieux organisés et plus importantes et ont débouché sur la création des FTP. qui vont réaliser un nombre croissant d’attentats. Les archives des Préfectures qui dénombrent un nombre limité d’attentats ou de sabotages en 41 et au cours du premier semestre 42, vont déborder fin 42, en 43 et 44, de références à des attentats quotidiens dans toute la France, opérations qui vont déboucher sur l’insurrection générale après le débarquement.
Y aurait-il eu soulèvement général en juin 44, si la population n’avait pas été habituée à l’idée de ne pas limiter la « Résistance » à des distributions de tracts ou à la fourniture de renseignements aux services spéciaux de Londres ? C’est toute la question. En fait ces premières opérations peu nombreuses et ayant causé peu de dégâts ont eu un retentissement énorme. René Cassin, dès janvier 1942 à la radio de Londres disait : « depuis plusieurs moins un champ de bataille s’est reconstitué en France.. des soldats sans uniformes, hommes et femmes, combattent pour la liberté de tous, sur le sol même dont l’ennemi voulait se croire le maître ».
Les auteurs affirment que le Parti communiste en octobre 1941 n’a pas réclamé la paternité de l’opération de Nantes. C’est compréhensible : à un moment où les services de police allemands et français se posaient des questions sur l’origine des attentats : parachutistes anglais, communistes ou mouvements spontanés, il aurait été aberrant de leur faciliter le travail. Les auteurs en concluent que le Parti a occulté leur mémoire. C’est inexact. Certes, il existe un certain nombre de résistants de droite qui n’ont jamais admis que les communistes soient des résistants. A cette époque et 60 ans plus tard : A titre d’exemple, les familles de deux membres de l’OS, fusillés en avril 1942 à la suite du procès de la Maison de la Chimie, ont récemment demandé que la médaille de la Résistance soit décernée à titre posthume à leur frère et à leur époux. La commission ad hoc, présidée par Alain de Boissieu a estimé qu’elle « ne pouvait pas retenir ce dossier ». Plus récemment encore des organisations de droite d’anciens déportés se sont opposées avec hargne à la projection de l’admirable film de Pascal Convert « Mont-Valérien, au nom des fusillés », parce que sur cinq membres des familles de fusillés interviewés, trois signalaient que leurs parents étaient communistes. Le parti communiste par contre a régulièrement organisé dès la libération des cérémonies à leur mémoire. Des noms de rues ont été donnés à la mémoire de la plupart des membres de l’OS (= Bataillons de la Jeunesse !), Des ouvrages ont été écrits. Aragon a écrit « L’Affiche rouge » etc.
André Kirschen
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