Bonsoir-bonjour,
En lisant l'étude passionnante que Pierre Daix vient de consacrer aux Lettres françaises, un journal dont il fut le rédacteur avant de rompre avec le PCF, j'ai lu ces lignes qui ont un rapport avec le marasme dans lequel se trouvèrent plongés militants de base et petits cadres juste après l'annonce du pacte germano-soviétique mais aussi, plus tard, bien plus tard, les intellectuels communistes et les auteurs et chercheurs progressistes pendant les 50 années qui suivirent la Libération (extraits):
J'écrivais en septembre 1975, pour ouvrir mon "Socialisme du silence", qu'il n'existait alors en France aucune histoire sérieuse du pacte germano-soviétique de 1939, de sa préparation et de ses conséquences. Personne ne s'était intéressé au livre de Jane Degras, "Soviet Documents on Foreign Policy III, 1933-1941, datant de 1953, ni à la publication des "Archives secrètes de la Wilhelmstrasse" en 1957, ni aux travaux d'historiens américains comme Adam B.Ulam ou des dissidents soviétiques, au premier rang desquels Roy et Jaurès Medvedev. A la fois un tabou et un impensé. (C'est moi qui souligne) Plus d'un quart de siècle plus tard, on ne peut pas dire que la curiosité sur les origines de la Seconde Guerre mondiale se soit accrue dans notre pays.
Or la période - que nous classons trop facilement comme l'entre-deux-guerres, ce qui pose implicitement la fatalité de la Seconde Guerre mondiale - a été décisive pour l'expérience politique de la génération de la Résistance née avec le XXe siècle, celle des fondateurs des "Lettres françaises", et tout autant pour celle de leurs cadets, la mienne. (...) Or sur les événements européens cruciaux des années 1930 et sur la nouvelle guerre dans laquelle nous étions jetés, jamais sans doute les moyens d'information comme les partis politiques n'ont véhiculé une aussi grande MOISSON DE MENSONGES, pour reprendre les mots d'Orwell. Il faut aujourd'hui partir du gouffre entre les idées véhiculées et les réalités historiques. D'abord, celles touchant à l'Union soviétique.(...)
A cause de l'image d'un Lénine voulant la paix à tout prix à Brest-Litovsk et de la propagande pacifiste des bolcheviks dénonçant comme trahison de leur idéal la participation des socialistes français, autrichiens ou allemands aux gouvernements de guerre en 1914, il était entendu que cette politique d'Etat soviétique était, quand ce ne serait qu'à cause de l'ampleur des famines et des ruines laissées par la guerre civile, fondamentalement pacifiste et défensive, l'agressivité étant laissée au Komintern.
Il s'y est joint, dans les années 30, un autre a priori idéologique, plus déduit toutefois au départ de la politique anticommuniste de Mussolini et de Hitler que des prises de position proprement soviétiques, du moins jusqu'au procès fait par les nazis à Dimitrov en 1934, à savoir que l'URSS incarnait l'antifascisme. Staline sut à merveille en user et, comme l'a montré François Furet, se poser en champion de l'antifascisme, créant ainsi une nouvelle relation imaginaire du communisme avec la défense des libertés et de la démocratie.
On sait aujourd'hui que dès avant la traité de Rapallo avec l'Allemagne (16 avril 1922), Lénine avait dit oui, en décembre 1921, à un accord entre militaires soviétiques et allemands pour la reconstruction de l'industrie allemande de guerre sur le sol soviétique en contradiction avec les clauses et l'esprit du traité de Versailles. Il ne s'agissait ni plus ni moins que de construction de sous-marins, de chars, d'avions et de pièces d'artillererie, c'est-à-dire d'armes offensives. Evidemment, cette coopération devait rester secrète. Le mot SECRET sur le texte est de la main de Lénine. (...) Même si cela déplaît aux oreilles françaises, comme l'ont montré les polémiques suscitées par les thèses de l'historien allemand Nolte, les Bolcheviks ont tout de suite été des adversaires du traité de Versailles et ont aidé les revanchards allemands.
Les militants communistes et les cadres de terrain, celles et ceux de "la base", ont donc subi un triple mensonge : celui de la IIIe République censurant la réalité de certains échanges et liens internationaux puis interdisant la presse communiste, celui de cette presse qui reproduisait servilement les diktats d'un comité central obéissant aux ordres de Moscou et dont certains des dirigeants tentèrent de s'entendre avec l'occupant nazi dès l'été 40, un occupant qui pouvait compter aussi sur la censure de Vichy pour filtrer la réalités des liens entre le Reich et Staline... Trois couches pour étouffer la réalité, quatre même, si on ajoute encore le refus "socio-affectif" des intellectuels progressistes et compagnons de route de comprendre le rôle de Staline, co-fauteur de guerre, entre 1945 et 1995 .
Bien cordialement,
RC
PS : Je déposerai dans quelques temps l'étude de Pierre Daix. ("Les Lettres françaises - Jalons pour l'histoire d'un journal, 1941-1972", Tallandier, 2004)
Une étude remarquable. |