Bonsoir - bonjour,
Poursuivant son implacable démonstration, Pierre Daix analyse les changements de ligne de Moscou, puis l'abandon de ligne idéologique au profit de la Realpolitik la plus brutale. Aux haut-parleurs des partis communistes de se débrouiller pour faire passer l'inimaginable, inimaginable pour les cadres moyens, les militants et les sympathisants, car les grands chefs, eux, ont eu droit à la version réaliste de Staline.
L'historien écrit :
Soixante ans plus tard, on connaît avec la précision voulue les instructions que Staline donna ou fit donner aux partis communistes concernés, en premier lieu au Parti communiste français, le plus important pour lui désormais en Europe par son nombre d'adhérents et par le fait que la France fait encore figure d'élément militaire clé du conflit qui vient de s'ouvrir. Ces textes sont donc sortis du secret que deux générations plus tard, et je suis l'un des très rares à pouvoir les confronter avec les convictions de ma jeunesse. Et à mesurer les mensonges que nous nous sommes à nous-mêmes forgés.
Si l'URSS a menti aux peuples du monde entier, Staline a tout de suite mis ses subordonnés les plus proches des appareils communistes au courant de ses visées. Avec la plus totale franchise.
Gabriel Gorodetsky, à partir du "Journal" de Dimitrov, le chef du Komintern, publié en Bulgarie en 1998, montre que Staline lui a aussitôt signifié que le pacte de 1939 ne s'insérait "dans aucune stratégie révolutionnaire", seulement dans la Realpolitik nationaliste soviétique la plus crue.
Staline et Jdanov (...) dissuadent ainsi Dimitrov "de caresser la moindre illusion sur le caractère révolutionnaire de la guerre [...] Dans la première guerre impérialiste, les bolcheviks avaient surestimé la situation. Nous avons foncé en avant et commis des erreurs ! On peut l'expliquer, mais non l'excuser par les conditions qui régnaient."
Pan sur Lénine fondateur de la IIIe Internationale. Non seulement Staline ne compte pas sur l'insurrection des peuples, mais il entend, dans le conflit qui s'ouvre, saper les bases de leur résistance au fascisme afin de prouver à Hitler sa bonne foi. (...) Les communistes vont devoir passer carrément au défaitisme, sans la moindre perspective révolutionnaire contrairement à 1917, pour miner la résistance occidentale.
C'est un "signal" stalinien typique. Une affirmation-mot d'ordre péremptoire, mais sans mode d'emploi, dont les exécutants doivent tirer eux-mêmes les conclusions. Ici, que les Etats démocratiques sont à traiter, dans la guerre qui vient de commencer, sur le même plan que les Etats fascistes. Soit, doivent conclure les appareils communistes, en ennemis.
Et, comme un mois plus tard un pacte d'amitié sera signé entre l'URSS et l'Allemagne, qui a cessé soudain dans la presse communiste, "Humanité" clandestine comprise, d'être fasciste, le sens antérieur de la division entre pays démocratiques et fascistes est alors non seulement perdu, mais retourné au seul profit des seconds.
(p.66-67)
Pour revenir sur la discussion du début de ce fil, on comprend mieux le contexte cynique et brutal imposé par Moscou dans lequel les militants communistes furent poussés à agir par leurs dirigeants nationaux, commettant des erreurs tragiques en faisant le jeu du nazisme triomphant, entre l'invasion de la Pologne (39) et l'attaque de l'URSS par Hitler.(41)
Bien cordialement,
RC |