Le responsable des déportations des Juifs à l'échelle européenne, Adolf Eichmann, se rendit personnellement à Paris les 30 juin et 1er juillet 1942 pour superviser la déportation des Juifs de France. Il mit au point avec Theodor Dannecker (chef de la section antijuive des S.S. en France) les dernières étapes d'un plan prévoyant l'arrestation et le transport de plusieurs dizaines de milliers de Juifs de France (première phase). La définition du Juif à retenir serait celle du Statut français des Juifs du 2 juin 1941, qui offrait une définition plus élargie de la cible. La rafle devait avoir lieu en France les 13 et 14 juillet 1942 avec l'appui de la police française.
De son côté, Vichy s'efforçait de troquer des Juifs étrangers contre des Juifs français, tout en pinaillant sur les actions à mener en zone occupée d'une part, en zone sud d'autre part, ce dans le cadre de négociations d'ordre plus global devant permettre au chef du gouvernement, Pierre Laval, d'arracher d'autres concessions à l'occupant, notamment sur la collaboration policière contre la Résistance. Le 2 juillet 1942 constitua, à ce titre, la journée décisive. Ce jour là, Vichy, par la voix de René Bousquet (Secrétaire général à la Police française), acceptait de confier à la police française le soin d'arrêter les Juifs des deux zones. En échange, les Juifs français seraient épargnés. Initialement, Laval avait pourtant imposé la ligne de négociation suivante : la police française arrêtait les Juifs en zone sud, les Allemands les Juifs en zone nord. Si Bousquet était allé plus loin qu'il n'aurait dû, il n'en avait pas moins obtenu une concession sur les Juifs français - même si 6.500 Juifs français allaient être déportés en 1942.
Le marchandage était ainsi réalisé : seraient livrés aux Allemands par les Français 10.000 Juifs de la zone libre et 20.000 Juifs parisiens. Juifs étrangers sacrifiés, Juifs français (prétenduement) sauvés : "Le Maréchal, relata une note du conseil des ministres du 3 juillet 1942, estime que cette distinction est juste et sera comprise par l'opinion".
Mais les quotas de Dannecker n'étaient pas remplis. Il réclamait 22.000 Juifs de région parisienne : la conférence du 2 juillet avec Bousquet ne faisait référence qu'à 20.000 personnes. Alors ? Alors Laval décida de rendre service. Il manquait 2.000 personnes ? Eh bien l'on ajouterait les enfants. Quatre mille enfants.
Message de Theo Dannecker en date du 6 juillet 1942 :
A l'Office Central de la Sécurité du Reich - IV B4 -Berlin
Objet : Déportation de France des Juifs
Référence : entretien entre le S.S.-Oberturmbannführer Eichmann et le S.S.-Haupturmführer Dannecker à Paris le 1er juillet 1942.
Les pourparlers avec le gouvernement français ont abouti jusqu'à présent au résultat suivant : le président Laval a proposé, lors de la déportations des familles juives de la zone non occupée, d'y comprendre également les enfants âgés de moins de seize ans. La question des enfants juifs restant en zone occupée ne l'intéresse pas.
Je vous demande de prendre une décision d'urgence, par télégramme, afin de savoir si, à partir du 15e convoi de Juifs, les enfants, en-dessous de seize ans, pourront être également déportés.
Pour terminer, j'attire votre attention sur le fait que, pour déclencher les rafles, il ne peut être question pour le moment que des juifs apatrides ou étrangers. Pour la seconde phase, l'on s'attaquera aux Juifs naturalisés en France depuis 1919 ou 1927.
Quatre mille enfants juifs furent donc arrêtés par la police française, séparés de leurs parents, et expédiés dans des camps d'internement, à propos desquels il est utile de se référer à la déposition de Georges Wellers au procès Eichmann:
Ils arrivaient dans les camps en autobus, [...] gardés par des gendarmes de Vichy avec des inspecteurs de police de Vichy. Au milieu de la cour du camp, il y avait un endroit séparé par des fils de fer barbelés où pénétraient les autobus. On ordonnait aux enfants de descendre à toute vitesse, parce que les autobus se suivaient à une cadence accélérée et il fallait qu'ils fassent place à ceux qui suivaient derrière. Ces malheureux enfants étaient complètement désorientés, desaxés ; ils quittaient les autobus en silence ; on les prenait par groupes correspondant à peu près à chaque autobus, il y avait parfois cinquante, soixante, quatre-vingts enfants. Les plus grands tenaient les plus petits par la main.
[...]
Il y avait beaucoup de petits enfants, de deux, trois, quatre ans, qui ne connaissaient même pas leur nom, alors on cherchait à les identifier, parfois on demandait à une soeur, à un frère plus âgé, parfois on demandait simplement à d'autres enfants s'ils les connaissaient pour dire comment ils s'appelaient. De cette façon, on trouvait un nom quelconque, qui souvent était faux. Nous avons fabriqué dans le camp des petits médaillons en bois, et sur ces médaillons, on inscrivait le nom ainsi établi, évidemment sans aucune certitude que le nom soit vrai, on accrochait ensuite ces médaillons avec une ficelle sur le cou des enfants.
[...]
La nuit, ils restaient tout seuls dans ces chambres éclairées par une ampoule, couverte de peinture bleue parce qu'on était en guerre, et à Paris la défense passive exigeait que toutes les ampoules visibles soient peintes en bleu. [...] Ils dormaient par terre, les uns à côté des autres. Très souvent, ils pleuraient, ils s'agitaient, ils appelaient leur mère. Il est arrivé quelquefois que toute une chambrée de cent-vingt enfants se réveille au milieu de la nuit ; ils ne se possédaient plus, ils hurlaient, réveillaient les autres chambrées, c'était affreux.
Ces enfants furent ensuite traînés dans des wagons à bestiaux par des S.S. et des policiers français, et ceux qui survécurent au voyage vers la Pologne furent gazés dès leur arrivée à Auschwitz. L'enfer, ils l'avait toutefois déjà connu en France. |