J'écrivais que
"Vichy mène, dès 1940, une politique de fichage, de ségrégation, d'exclusion envers les Juifs - français et étrangers - et ce sans même que les Allemands ne le demandent".
Vous me répondez que...
"cela est faux" (!).
Et vous vous expliquez ainsi :
Dannecker est arrivé à Paris le 28 août 1940 pour faire appliquer les lois de Nuremberg à la zone occupée.
Le général de La Laurencie en avertit Vichy.
C'est grave, car cela indique que les Allemands ne se contenteront pas d'administrer cette zone mais qu'ils entendent la gouverner et par conséquent déposséder Vichy de ses droits sur cette zone.
Il faut prendre les devants et vous avez le statut des juifs du 4 octobre.
Ce qui regorge d'erreurs.
1) Sur le rôle de Dannecker dans la politique antisémite de Vichy en 1940
Lorsque Dannecker débarque en France, les
S.S. n'ont aucun pouvoir intéressant la
Judenfrage. Seule l'armée allemande avait le pouvoir d'édicter des Ordonnances en zone occupée et de les faire appliquer, conformément à l'article 3 de la Convention d'armistice, par les autorités françaises.
"Quant aux lois et aux décrets du Gouvernement de Vichy, écrit Serge Klarsfeld (
Vichy-Auschwitz. La Solution finale de la Question
juive en France, Fayard, 2001, p. 16)
ils sont valables non seulement pour la zone libre, mais aussi pour la zone occupée, à condition toutefois qu'ils ne contredisent pas les ordonnances allemandes. L'existence du Gouvernement de Vichy, institué pour toute la France à titre de pouvoir souverain, confère aux services officiels français en zone occupée la qualité d'émanations du Gouvernement de l'Etat français, sous l'égide duquel ils travaillent. Les ministères de Vichy ont, en effet, leurs représentants en zone occupée auprès du Commandant militaire allemand. Ainsi, chaque acte des services français en zone occupée est un acte de l'Etat français." A noter que les délégués de Vichy étaient dirigés par le général La Laurencie.
Les
S.S., pour leur part, se limitent à une petite escouade dirigée par un adjoint de Heydrich, Helmut Knochen, et grapillent peu à peu des prérogatives en faisant jouer leurs relations avec l'organisation d'Otto Abetz, quasi-ambassadeur allemand en France occupée.
Ayant envoyé Knochen infilter l'administration allemande en France, Heydrich décida d'aller plus loin et, pour conférer un semblant de cohérence à la politique antisémite du IIIe
Reich en France, demanda le 20 septembre 1940 l'accord du Ministère allemand des Affaires Etrangères pour donner au
R.S.H.A. compétence prioritaire pour l'action anti-juive. Le Ministère intima l'ordre à Abetz de faire pression sur l'armée, qui daigna accueillir la section antijuive par décret secret du 4 octobre 1940.
Cette section, fort réduite, était dirigée par Theodor Dannecker, Bavarois de Munich âgé de 27 ans, décrit par tous comme un antisémite pathologique, un
"malade mental" selon un connaisseur, Darquier de Pellepoix... Dannecker était l'envoyé direct de Eichmann, adjoint de Heydrich. Ses services collaboraient avec l'Ambassade. Ils étaient tolérés par l'armée. Mais La section Dannecker n'avait aucune compétence pour imposer ses décisions à Vichy. Il fallait pour ce faire user de l'influence de l'Ambassade allemande. Klarsfeld écrit (
op. cit., p. 17-18) :
Ainsi, à partir du mois d'août 1941, le service des Affaires juives de la Sipo-S.D. en France est-il habilité à s'occuper de l'action anti-juive jusqu'en zone libre et les diplomates allemands appuient les demandes de la Sipo-S.D. auprès du Gouvernement de Vichy. Par exemple, quand Vichy tardera à créer le Commissariat général aux Questions juives (C.G.Q.J.) [créé le 9 mars 1941 et dirigé par Xavier Vallat, N.D.L.R.] et l'Union générale des Israélites de France (U.J.I.F.), organes essentiels du point de vue de Dannecker pour la ségrégation des Juifs en France, ainsi que pour leur direction pour leur administration en prévision de l'organisation de leur départ massif, l'Ambassade allemande intervient-elle efficacement auprès de Vichy pour aider la Sipo-SD et obtenir le résultat souhaité par Dannecker.
Le 30 janvier 1941, au cours d'une conférence entre responsables du
R.S.H.A. en France et de l'armée à propos de la
Judenfrage, l'adjoint du Représentant du
Sipo-S.D. en France,
le S.S.-Sturmbannführer Lischka, définit le domaine d'action des autorités allemandes en matière d'antisémitisme :
"Il convient de laisser aux Français le soin de régler la suite, afin d'éviter dans ce domaine la réaction du peuple français contre tout ce qui vient des Allemands. Aussi bien les services allemands s'en tiendront-ils à faire des suggestions." A ce titre, Dannecker avait également créé son propre réseau d'influence, infiltré à bien des niveaux de l'administration française...
Il n'en demeure pas moins que, contrairement à ce que vous écrivez, Dannecker n'a joué strictement aucun rôle, en 1940, dans la conduite de la politique de Vichy. Il n'en avait ni les moyens, ni les compétences administratives. Ce n'est qu'en 1941 que la section anti-juive, tolérée par l'armée allemande, commencera à prendre son essor.
2) Sur l'élaboration du Statut des Juifs
Pour commencer, le Statut des Juifs est une loi du 3 octobre 1940, pas du 4. Un retour aux faits se révèle, en toute hypothèse, nécessaire.
En 1940, l'armée allemande s'efforçait de ne pas s'incruster dans les affaires intérieures françaises, désirant de consacrer aux tâches militaires de toute armée d'occupation. Une directive de l'
O.K.H. n° 800/40 du 22 août 1940 était à cet égard parfaitement claire :
"Toute l'activité de l'administration militaire sera guidée par ce principe que seules les mesures destinées à l'occupation militaire du pays devront être prises. Par contre, il n'est pas du ressort de l'administration militaire de s'immiscer dans les affaires de politique intérieure française, pour l'améliorer. Pour prendre toutes les mesures administratives qu'elle sera appelée à prendre, l'administration militaire devra emprunter, par principe, le canal des autorités françaises."
Le rôle de Vichy apparaissait dès lors davantage déterminant. Les militaires souhaitaient en faire le moins possible et de laisser s'effectuer le travail par les Français. Ce qui fut fait.
27 septembre 1940 : une Ordonnance militaire allemande interdit le retour en zone occupée des juifs qui avaient fui. Devaient s'inscrire sur un registre spécial ouvert à la sous-préfecture de leur domicile ceux qui s'y trouvaient encore. L'Ordonnance se fondait sur la législation antisémite allemande édictée à Nuremberg en 1935 pour
"définir le juif".
Vichy protesta - pour la forme, et parce qu'un Statut des juifs était en cours de rédaction. La politique de l'Etat français se résumait à ceci : en matière d'antisémitisme, on pouvait faire mieux que l'occupant, aussi fallait-il nous laisser plénitude de compétence. Le 18 octobre fut donc publié au
Journal Officiel le fameux Statut des Juifs, excluant les Juifs de la Fonction publique et sur la base d'une définition de la cible plus large que celle des autorités militaires nazies. De son côté, la loi du 4 octobre 1940 prévoyait l'internement des Juifs étrangers dans des camps d'internement ou leur assignation à résidence par les préfets. Ainsi, Vichy avait fait pire que les Allemands : il avait confirmé la césure entre la nation française et ce qu'il qualifiait de
"race juive". Cette législation allait apporter une aide considérable aux Allemands dans leur processus d'extermination. Tout est parti de là. Il s'agissait, pour Vichy, de faire de l'antisémitisme une institution légale, et aussi de séduire les Allemands dans le cadre d'une éventuelle rencontre au sommet entre Pétain et Hitler, ce qui fut le cas à Montoire.
Le Délégué Général du Gouvernement de Vichy en zone occupée, le général de La Laurencie, sur instructions du Gouvernement, prit des mesures destinées à compléter celles de l'armée mais qui, là encore, allaient plus loin que ces dernières. Jacques Delarue (
op. cit., p. 59) :
"On assista au premier exemple d'un zêle intempestif : alors que le texte [de l'armée allemande]
prescrivait seulement l'incription sur un registre spécial, la Préfecture de Police donna une extension extraordinaire à l'exécution de cette demande. Elle créa un ficher multiple par noms, professions, nationalités, adresses et quartiers, fichier si parfait qu'il servira de modèles aux services allemands. Dannecker expliqua dans un rapport à ses chefs que c'est sous sa pression que ce fichier avait été créé. Rappelons que les services allemands pouvaient suggérer, conseiller, voire exercer des pressions, ils ne pouvaient rien imposer dans une affaire intérieure purement française, et Dannecker, dont les pouvoirs étaient à ce moment extrêmement limités, n'avait pas la possibilité d'aller très au delà des prescriptions [de l'armée]
. Il faut en conclure qu'il y eut là, sur l'ordre de Vichy, un excès de zêle, peut-être une sorte d'orgueil stupide pour montrer ce que l'on était capable de faire."
Autre exemple d'excès de zêle : l'Ordonnance allemande du 18 octobre 1940 prescrivait un recensement des entreprises juives (première étape vers l'aryanisation économique). Le général La Laurencie intervint une fois de plus, et le 7 novembre, le directeur de la P.J. (Police judiciaire) à la Préfecture de Police, Charles Meyer, pouvait diffuser la circulaire n° 227 ordonnant à ladite Préfecture de
"vérifier la sincérité des déclarations souscrites et de rechercher tous ceux, individus et sociétés, qui avaient omis de se faire recenser." (Delarue,
op. cit., p. 60)
Et je ne cause là que de la situation des Juifs à l'automne 1940...
Bref : l'armée allemande met timidement en place une politique antisémite, Vichy instaure sa propre législation, qui ne se contente pas de compléter les ordonnances militaires de l'occupant, mais va bien plus loin, et ce à la fois par souci de plaire à Hitler et par conviction idéologique.
Ce qui ne vous empêche pas de qualifier le Statut des Juifs de
"sage précaution" :
Grâce à lui, ce statut, quand, en mai 42, Heydrich vient à Paris pour faire appliquer la solution finale en France il en prévient Bousquet, chose qu'il n'aurait pas faite si le pli avait été pris en 1940 de faire gouverner directement la France du Nord par le MBF.
Et là tout bascule... Heydrich et les SS Oberg et Knochen se font "compréhensifs"... etc.
Sans cette sage précaution du statut des juifs de 1940, la négociation de 1942 n'aurait pu avoir lieu.
Décidément Poliakov a bien vu les choses.
Ce qui relève du total n'importe quoi.
Rappelons qu'au printemps 1942 le régime de Vichy avait fiché et exclu les Juifs de la vie française. Plusieurs milliers d'entre eux étaient déjà internés et nourrissaient les premiers convois organisés par les Allemands. Vichy envisageait également de se débarrasser, en premier lieu, des Juifs étrangers. En attendant les autres.
La rencontre Heydrich-Bousquet du 5 mai 1942 devait permettre au premier d'appuyer la nomination de son adjoint Oberg à la tête des forces de police allemandes en France (entre-temps, l'armée avait cédé ses prérogatives aux
S.S. sur les questions touchant l'antisémitisme), et d'imposer ses vues à Vichy. Il réclamait en effet rien moins que la subordination des forces de police françaises aux organes allemands de sécurité en zone occupée. Heydrich misait gros, mais il s'agissait d'un coup de bluff, destiné à mettre au pied du mur les négociateurs de Vichy et leur accorder quelques concessions qu'il était disposé à leur attribuer. Heydrich, partant de son expérience en Tchécoslovaquie, était d'avis qu'il valait mieux laisser la police locale agir à sa place. Cette méthode comprenait tous les avantages : l'opinion publique aurait d'autant moins de raison de se plaindre, les Allemands n'auraient pas à fournir trop d'hommes, et l'on imprimait la marque de la collaboration sur l'administration. Ce d'autant que Vichy était tout disposé à collaborer. Pourquoi se priver ?
De son côté, Bousquet refusa catégoriquement de mettre la police française sous tutelle allemande, ce dont Heydrich n'avait cure, du moment que la police française participait aux rafles et aux déportations. A ce propos, voici ce qu'a confié Oberg au cours de son interrogatoire du 2 juillet 1946 (cité in Klarsfeld,
op. cit., p. 58-59) :
Tout en comprenant que M. Bousquet ait eu à se défendre de la façon la plus judicieuse, je dois rappeler la réalité des faits et que si M. Bousquet a obtenu le maximum pour la France grâce à ses efforts, cela n'a pu se réaliser que parce que ses interlocuteurs allemands adoptaient une attitude réceptive. A mon arrivée en France, l'ordre du Führer prescrivait que la police française m'était subordonnée. Avant la première conférence avec Bousquet, des conférences détaillées ont eu lieu entre Heydrich, Knochen et moi-même. Knochen a exposé la situation politique et administrative en France ; Heydrich a fait part de ses expériences en Tchécoslovaquie et conclu qu'une large autonomie de la police et de l'administration aboutirait aux meilleurs résultats.
Heydrich a dit à Bousquet que la police française en territoire occupé était en principe sous mes ordres, mais qu'à son avis une telle tutelle n'était pas nécessaire. En fait, si M. Bousquet pouvait donner en son nom personnel et en celui de ses collaborateurs l'assurance que la police française travaillait sur une base de camaraderie policière dans le même esprit que la police allemande, c'est à dire contre le communisme, les saboteurs de tous ordres, les terroristes, si M. Bousquet pouvait donner cette assurance, Heydrich était d'accord pour répondre au voeu qu'avait exprimé le secrétaire général que la police allemande ne se mêlat point aux affaires intérieures de la police française et que les deux polices ne travaillent pas en commun, mais la police allemande sous les ordres de ses chefs et la police française sous ceux de M. Bousquet. Ceci à condition que des relations confiantes s'établissent entre M. Bousquet et moi,. M. Bousquet a donné son assurance et remercié que de telles relations s'établissent sur ces bases et qu'il puisse garder la disposition de la police.
Pour les pourparlers avec Bousquet, Heydrich s'est décidé à faire appel au sentiment de camaraderie policière de Bousquet en vue d'éviter l'application effective de l'ordre du Führer visant à une nette coordination de la police française ; ce qui démontre que nous étions décidés préalablement à entrer dans les desiderata auxquels nous nous attendions de la part de Bousquet, lorsque nous lui avons donné connaissance de l'ordre du Führer. Par ailleurs, il est évident que les deux parties ont essayé chacune d'obtenir le plus possible.
Après les pourparlers sur le fond avec Bousquet fixant les désiderata réciproques, l'assentiment aux résultats de cette conférence a été obtenu de la part du Reichsführer S.S. ainsi que du Commandement militaire. Par la suite, il s'est révélé nécessaire de consigner par écrit les missions des deux polices ; après échange de correspondance, cela a abouti à l'accord écrit définitif , dont il a été donné connaissance à la réunion du 8 août 1942 groupant les Préfets régionaux et les Intendants de Police, ainsi que les responsables des polices allemande et française...
La réorganisation de juin 1942 a permis de définir et d'observer la règle de l'autonomie de la police française, ce qui n'avait pas été le cas jusqu'à cette époque. La subordination de la police française en zone occupée au chef supérieur des S.S. et de la police, prescrite par l'ordre du Führer, a été tournée en pratique par l'accord établi avec Bousquet et grâce aux relations entre les deux polices, le principe de la souveraineté du Gouvernement français et de l'indépendance de la police française dans cette zone était maintenu.
Bousquet agissait au nom du gouvernement de Vichy. Il avait réussi à obtenir la liberté d'action de ce gouvernement. La police française conserverait pleine compétence pour opérer les arrestations de Juifs. Pas question d'obéir, en ce sens, aux directives du petit Dannecker, court-circuité par Bousquet qui s'adressait directement à ses supérieurs, Heydrich et Oberg. Restait à savoir ce qu'il fallait faire des Juifs.
Le 11 juin 1942, Eichmann réunit Dannecker et les chefs des sections antijuives de Belgique et de Hollande. Objet de la conférence : la déportation des Juifs de l'Ouest. Il était prévu que 15.000 Juifs seraient déportés de Hollande, 10.000 de Belgique, 100.000 de France (y compris la zone non occupée). Le gouvernement français devait payer les frais de transport et une taxe de 700
Reichmarks par déporté, ainsi qu'assurer leur ravitaillement pendant 15 jours.
Mais Pétain et Laval s'opposaient à la déportation des Juifs français : l'opinion, en effet, risquait de mal le prendre. Et elle pouvait d'autant plus mal le prendre que les Allemands exigeaient de déporter les Juifs présents en zone libre. Bousquet était extrêmement favorable à cette sélection, même s'il ne s'opposait pas à la déportation des Juifs internés dans les camps de zone occupée, quoique certains fussent Français... De fait, le 5 juin 1942, un convoi de déportés quittait Compiègne, emportant à son bord un millier de Juifs pour les camps de la mort. Tous n'étaient pas des Juifs étrangers...
Divers problèmes se posaient. Les Juifs français ne devaient pas être déportés, mais les nazis avaient des quotas à remplir. Une solution fut trouvée au cours des négociations franco-allemandes : ôter la nationalité française des Juifs naturalisés pour les transformer en Juifs étrangers. Mais quelle date de naturalisation retenir : 1936 ? 1933 ? 1932 ? 1927 ? L'on opta pour la dernière date.
Et qui procéderait aux arrestations ? Seule la police française pouvait le faire. Comme l'a fait remarquer l'historien André Kaspi :
"Les Allemands n'ont pas les effectifs nécessaires ni la connaissance du terrain. Ils ne peuvent pas non plus franchir la ligne de démarcation pour rafler les juifs de zone libre. Ils ont besoin que les forces françaises du maintien de l'ordre collaborent avec eux. Sinon, ils sont réduits à l'impuissance." (Kaspi,
Les Juifs pendant l'Occupation, Seuil, 1997, p. 220) Mais Vichy, qui consentait à opérer les rafles en zone sud, n'était pas disposé à intervenir en zone occupée.
Alors que les négociations se poursuivaient avec Vichy, Dannecker révisait ses prétentions à la baisse, faute de trains disponibles (réquisitionnés pour le pillage des ressources du territoire et les besoins logistiques de l'armée). Plus question de déporter 100.000 Juifs de France, mais 40.000, sur trois mois : 22.000 pour la région parisienne, 6.000 pour le reste de la zone occupée et 10.000 pour la zone libre. 9.000 d'entre eux étaient de nationalité française vivant en zone occupée. La limite d'âge était fixée de 18 à 40 ans : elle était finalement repoussée à 60 ans. 40 % des déportés devaient être français. Seraient exclus des rafles, conformément aux souhaits du Ministère des Affaires étrangères allemands, les Juifs de nationalité britannique, américaine, mexicaine, les ressortissants des Etats d'Amérique latine et d'Etats neutres ou alliés. Exclus également, les conjoints d'Aryens. Tel était le plan. Restait une inconnue : qu'allait faire Vichy ?
"Vous connaissez la police française, écrivait Bousquet à Oberg le 18 juin 1942.
Elle a sans doute ses défauts, mais elle a aussi ses qualités. Je suis persuadé que, réorganisée sur des bases nouvelles et énergiquement dirigée, elle est susceptible de rendre les plus grands services. Déjà, dans de nombreuses affaires, vous avez pu constater son activité et l'efficacité de son action. Je suis certain qu'elle peut faire davantage encore." Encore fallait-il une complète indépendance des polices au stade de l'exécution : les arrestations effectuées par la police française ne devaient pas entraîner d'exécutions. Le 22 juin, un 3e convoi emportant des Juifs internés à Drancy partait pour Auschwitz. Vichy tenait réellement à se débarrasser des apatrides.
Mais les négociations traînaient. Dannecker n'avait pas encore la possibilité de se saisir des Juifs internés en zone libre - ceux qui n'étaient pas encore morts de malnutrition. Il lui fallait obtenir davantage de candidats à la déportation pour faire bonne figure devant Eichmann lors de la réunion du
R.S.H.A. à Berlin le 2 juillet 1942. Le 25 juin 1942, il parla de son problème à Leguay, représentant spécial de la Police française en territoire occupé. Leguay suivait la méthode vichyste : troquer des Juifs étrangers contre des Juifs français pour ne pas mécontenter l'opinion, donc vider les camps d'internement de zone nord et accroître les rafles dans cette même zone. Mais Leguay n'est qu'une courroie de transmission. Dannecker misait beaucoup sur le nouveau chef du gouvernement français, Laval.
Et il eut raison.
Car finalement,
comme je l'ai détaillé dans cet article, Vichy choisit de conclure, début juillet 1942, le marché suivant :
1) La police française effectuerait, sur ordre de Vichy, les rafles des Juifs dans les deux zones.
2) Les rafles viseraient prioritairement les Juifs étrangers, dont Vichy souhaitait se débarrasser en tout premier lieu (le gouvernement Darlan, qui précédait Laval, ayant initialement envisagé de les expédier en Algérie).
"Le Maréchal, relata une note du conseil des ministres du 3 juillet 1942,
estime que cette distinction est juste et sera comprise par l'opinion".
3) Seraient donc livrés aux Allemands par les Français 10.000 Juifs de la zone libre et 20.000 Juifs parisiens.
4) Parce que les Allemands exigeaient 22.000 Juifs en région parisienne, et comme il manquait, par conséquent, 2.000 Juifs pour atteindre ce quota non contesté par Bousquet, Vichy décida d'ajouter à ces 20.000 déportés, avant toute demande allemande en ce sens, 4.000 enfants juifs.