Pie XII n'est pour rien dans la création du réseau O.D.E.S.S.A. Cette filière, démesurément grossie par les légendes romancières, n'en était qu'une parmi d'autres plus ou moins improvisées par les nazis à partir de 1945, avec Die Spinne, la Kameradenwerk, la H.I.A.G., pour ne citer que les plus médiatisées. Si l'historique du devenir des criminels de guerre nazis en RFA est connue (voir l'édifiant Alfred Wahl, La seconde histoire du nazisme, Armand Colin, 2007), il n'en est pas de même pour ceux qui ont fui à l'étranger. Les mémoires de Wiesenthal (Les assassins sont parmi nous, Stock, 1967 ; Justice n'est pas vengeance, Robert Laffont, 1989) comportent leur lot d'erreurs et d'exagérations, sans parler du IVe Reich (Belfond, 1975) de Ladislas Farago, qui tient du roman. Ces récits, ainsi que nombre d'autres écrits journalistiques, ont diffusé nombre d'assertions absolument invérifiables. C'est ainsi qu'il n'est, à ma connaissance, pas prouvé qu'Adolf Eichmann a bénéficié de faux papiers délivrés par le Vatican : l'affirmation a été émise au cours de son procès en 1961, sans aucune confirmation.
Que des nazis aient pu s'échapper vers la pampa avec l'aide de certains ecclésiastiques du Vatican, ce n'est pas niable - voir John Loftus & Mark Aarons, Des nazis au Vatican, Olivier Orban, 1992. Mais ces derniers, en dépit d'une recherche impressionnante, échouent à mettre en cause efficacement la responsabilité de Pie XII et de Mgr Montini (futur Paul VI), malgré certaines présomptions. Par ailleurs, ils n'établissent pas, autrement qu'en faisant appel aux affirmations du pas très fiable Simon Wiesenthal, que les pires bourreaux allemands et autrichiens aient bénéficié de l'appui du Saint-Siège. Ce d'autant que le C.I.C.R. a confirmé, dans les années 1990, avoir délivré de faux papiers auxdites "célébrités", dont Eichmann. Alors, qui est le vrai coupable ?
Une étude méconnue du jésuite américain Robert Graham, Papauté et espionnage nazi 1939-1945, Beauchesne, 1999, a mis en lumière les lacunes considérables des accusations portées contre Pie XII. Il démontre, de manière certes inégale, que Mgr Hudal, dont on sait l'implication dans l'exfiltration de nazis et de fascistes croates, a fort bien pu agir seul, sans l'aval des autorités supérieures, lesquelles avaient bien d'autres chats à fouetter (catholicisme à reprendre en main, millions de réfugiés, ascension du communisme en Europe, notamment à l'Est).
Bref, à défaut d'être totalement convaincant, le travail de Graham démontre au moins que rien n'est tout à fait clair, dans cette affaire, et qu'accuser le Pape de complicité dans la fuite des anciens tortionnaires de l'Europe demeure assez simpliste. Le Pape ne contrôlait pas tout, et l'Eglise était loin d'être une machine parfaitement huilée - voir à titre d'exemple le dernier ouvrage, absolument remarquable, de Peter Goldman consacré à l'Inquisition littéraire, paru chez Perrin en 2007, un modèle du genre en matière de travail d'historien.
En revanche, l'Eglise allemande, avec le soutien du Saint-Siège, a bel et bien milité pour une amnésie allemande des crimes nazis, dès la fin de la guerre, et oeuvré pour l'arrêt des poursuites, voire la libération de détenus - dont la culpabilité ne faisait pourtant aucun doute. Ce qui est déjà suffisamment contestable, du point de vue de la Justice. |