La petite phrase de Poliakov : II. Les écrits postérieurs - Vichy dans la "Solution finale" - forum "Livres de guerre"
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Vichy dans la "Solution finale" / Laurent Joly

En réponse à -2
-1La petite phrase de Poliakov : I. Le Bréviaire de la Haine (1951) de Nicolas Bernard

La petite phrase de Poliakov : II. Les écrits postérieurs de Nicolas Bernard le lundi 21 décembre 2009 à 22h39

II. Les écrits postérieurs de Poliakov : un bilan nettement plus accablant pour Vichy

Poliakov a su évoluer - ce que ne signalent jamais les thuriféraires vichystes. Dix-sept ans plus tard, dans son article « Au temps de l'Etoile jaune. La situation des Juifs en France sous l'Occupation » (Historia Magazine, n°25, 1968, p. 795-700, réédité in Léon Poliakov, L'Etoile jaune, Grancher, 1999, p. 105-129), il a tenu compte des premiers acquis de l'historiographie (était notamment paru l'année précédente le livre de Claude Lévy et Paul Tillard, La grande rafle du Vel d’Hiv’. 16 juillet 1942, Laffont, 1967, rééd. 1997), et, en conséquence, a davantage tenu compte de l’antisémitisme d’Etat de Vichy.

Selon Poliakov, en effet, s’est développé à Vichy un antisémitisme d'Etat se réclamant d'une « confuse idéologie patriotique, conservatrice et xénophobe, dont la pointe était tournée, en même temps que contre la République, contre les étrangers en général, les "métèques" (suivant la terminologie maurassienne). D'où la différence entre les Juifs français et les Juifs étrangers, d'une manière autant que possible humaine [?]. Dans la pratique, les deux objectifs convergents conduisirent parfois à des conflits ou à de curieuses surenchères. Ainsi, tandis que les autorités occupantes, soucieuses de ne pas choquer de front l’opinion publique française, tardaient à introduire dans leur zone la législation raciale (la première mesure ne fut prise qu’à la fin du mois de septembre 1940), des lois promulguées à Vichy dès juillet 1940 exclurent de la Fonction publique les Français nés de parents étrangers et décrétèrent la révision des naturalisations intervenues depuis 1927. Ces premières lois visaient, en principe du moins, les étrangers en général ; mais en octobre, une autre loi rendit possible l’internement des « ressortissants étrangers de race juive » par simple mesure policière et un statut général des Juifs (tant étrangers que français) fut promulgué, qui excluait ceux-ci de nombreuses professions libérales et activités commerciales, à moins que leurs ancêtres n’eussent été français depuis cinq générations, ou, qu’eux-mêmes, n’eussent rendu à la France des « services exceptionnels ». » (op. cit., p. 106-107).

Par la suite, Poliakov décrit les complexités judiciaires nées d’une définition légale du « Juif » dont le caractère vague favorisait des mesures parfaitement arbitraires, et ajoute : « Ainsi les absurdités administratives précédèrent la tragédie des déportations. Entre autres conséquences, la promptitude avec laquelle le maréchal Pétain et son gouvernement adoptèrent une politique raciste de leur propre cru aiguilla les Juifs français vers le camp naissant de la Résistance » (p. 108-109).

Or, « ainsi que nous l’avons dit, les Allemands avaient tout intérêt à ce que les mesures antijuives fussent prises par le gouvernement de Vichy, et qu’elles fussent, aux yeux de la masse des Français, le fait des autorités nationales, non des autorités étrangères » (p. 111). Tout en mentionnant les réactions contrastées des Eglises protestante et catholique, Poliakov évoque ensuite, sans s’y attarder, la naissance des camps d’internement de zone occupée, ainsi que la création du C.G.Q.J. « pour mieux harmoniser la collaboration dans le domaine de la politique raciale » (ibid.). Il mentionne le premier dirigeant du C.G.Q.J., Xavier Vallat, qui distingue Juifs français et Juifs étrangers, « absolument « inassimilables » à ses yeux » (p. 112). Surtout, rappelle-t-il, c’est moins son antisémitisme que sa germanophobie qui génère des tensions avec l’occupant, notamment le représentant d’Eichmann en France, Dannecker, à qui Vallat ose déclarer : « Je suis un antisémite de plus vieille date que vous. D’ailleurs, j’aurais pu être votre père. » Vallat neutralisé, « le gouvernement de Vichy crut bien faire en le remplaçant par Darquier de Pellepoix, antisémite frénétique à la mode hitlérienne » (p. 112).

Poliakov rappelle l’emballement de la machine nazie, qui dès 1942 met en œuvre le génocide en Europe de l’Ouest (p. 113), mais précise que les mesures discriminatoires de l’occupant, telles l’Etoile jaune, suscitent l’hostilité de la population française (p. 113-114). Et puis (p.114-115) « l’heure de la déportation des Juifs de tout sexe et de tout âge vers les camps de la mort sonna en juillet 1942, alors qu’à Vichy, Pierre Laval était chef de gouvernement. L’intention primitive des Allemands était de déporter, au cours de l’été 1942, 100.000 Juifs tant français qu’étrangers, mais en dressant les plans de la colossale rafle qui devait préluder à l’opération, ils virent acculés à un dilemme, car Vichy s’opposait catégoriquement à la déportation des Juifs de nationalité française. Les services d’Eichmann devaient donc, soit se contenter d’opérer en zone occupée seulement, et avec leurs seules forces, soit, pour pouvoir étendre l’opération à la zone libre et se faire aider par la police française, renoncer aux Juifs français. Ils optèrent pour cette dernière solution, qui leur assura l’entier concours des administrations françaises. »

Suit la description – insoutenable – des circonstances de la rafle du Vel d’Hiv’ (p. 115-117), et Poliakov expose « l’indignation populaire contribua à l’échec partiel de la grande rafle de juillet », rappelant l’intervention de certains agents de police isolés qui décidèrent de mettre en échec l’opération dans laquelle ils étaient impliqués tandis que « les hauts fonctionnaires se contentaient pour leur part d’exécuter scrupuleusement les ordres reçus. Ainsi que nous l’avons dit, l’intention de préserver de la déportation les Juifs français fut l’un des mobiles du gouvernement de Vichy. Dans la pratique, cette intention aboutissait à un peu glorieux maquignonnage », à savoir que l’Etat français compensa la prétendue absence de Juifs français par un excès de zèle dans les arrestations de Juifs étrangers (p. 118-119).

Or (p. 119), « les documents allemands nous apprennent que c’est sur la proposition de Pierre Laval que les enfants furent déportés eux aussi : d’une manière plus précise, il demanda qu’en zone « libre » les enfants juifs suivent leurs parents, ajoutant que la « question des enfants juifs restant en zone occupée ne l’intéressait pas ». Eichmann manifesta aussitôt à ces enfants (au nombre de 4.000 à Paris) l’intérêt que l’on devine et ils furent déportés séparément, quelques jours après leurs parents. La question des enfants juifs nous a fait entrevoir un second mobile à la promptitude avec laquelle les dirigeants vichyssois allaient au-devant des intentions hitlériennes : derrière la sauvegarde des Juifs français, se profile la volonté bien arrêtée de se débarrasser des Juifs étrangers. A n’importe quel prix ? Peut-être ignorait-on encore, à l’époque, à Vichy, comment fonctionnaient les chambres à gaz ; mais Laval ne pouvait ignorer que les enfants déportés étaient voués à la mort, d’une manière ou d’une autre. »

Poliakov décrit aussi les rafles de zone « libre », qui impliquent la livraison de « 9.000 Juifs » aux Allemands, ce alors que Vichy « avait pleine souveraineté en matière de Juifs » (p. 120). Poliakov ajoute ici un facteur essentiel à la compréhension de la politique vichyste : la prise en compte de l’opinion de l’Eglise catholique, laquelle ne s’opposera guère au Statut des Juifs du 3 octobre 1940 mais s’opposera à « l’assassinat pur et simple » (p. 120-121).

De fait (p. 121), « l’intervention de l’Eglise catholique eut des résultats salutaires, d’autant plus que d’autres représentations avaient lieu dans le privé : il semble même que Mgr Chapoulié ait été mandaté par les cardinaux français pour annoncer au maréchal Pétain que le pape était en souci de son salut éternel. Le fait est que les autorités de Vichy, tout en veillant à continuer à l’application du « Statut des Juifs » et d’interner les Juifs étrangers, ne les livrèrent plus aux Allemands [ee qui reste inexact, car d’autres rafles de Juifs étrangers vont être effectuées après la publication des critiques de l’Eglise, comme je l’ai rappelé ici] : sous ce rapport, la « zone libre » devint une sorte de sanctuaire. »

Après avoir souligné l’aide apportée par l’armée italienne aux Juifs qui trouveront refuge dans sa zone d’occupation (p. 121-122), sujet auquel Poliakov avait consacré son premier livre (précurseur mais daté) en 1946, l’historien raconte, de manière particulièrement lacunaire pour l’occasion (p. 122), que « dans la France entière, la chasse aux Juifs avait tendance à se ralentir. Les Juifs étrangers, dans leur majorité, avaient pris le maquis, et les Juifs français, en principe du moins, continuaient à bénéficier de leur immunité [sic]. A mesure que l’existence des usines nazies de la mort, soulevant un frisson d’horreur, devenait mieux connue ; à mesure aussi, sans doute, que la fortune des armes changeait de camp, les mesures raciales se trouvaient sabotées du haut jusqu’au bas de la hiérarchie administrative. De plus en plus les hommes d’Eichmann en étaient réduits à opérer par leurs propres moyens, aidés d’indicateurs, de dénonciateurs et de la « Milice française » de Joseph Darnand. », mais sans l’appui de la Wehrmacht (p. 123).

« En conséquence,, conclut l’historien (p. 123), sur les quelques 85.000 Juifs déportés en France, la majeure partie le fut au cours de l’année 1942. Ce chiffre correspond à moins d’un tiers des Juifs se trouvant en France en 1940 : parmi les pays occupés par le IIIème Reich ou inféodés à lui, seuls le Danemark, l’Italie et la Bulgarie connurent un bilan plus favorable et, de ce point de vue, on pourrait même arguer que l’existence d’un « Etat français » de Vichy fut, en définitive, bénéfique pour les Juifs. »

Bref, après un lumineux exposé démontrant l’ampleur de la collaboration vichyste à la politique nazie de persécution et d’extermination, Poliakov a l’occasion de préciser son assertion de 1951 faisant de Vichy le « facteur prépondérant du sort relativement plus clément des Juifs de France », qu’il renouvelle ici sous une autre forme, au conditionnel, et de manière infiniment plus critique encore que Le Bréviaire de la Haine : c’est uniquement parce que Vichy a cédé face à l’opinion publique française, et notamment l’Eglise catholique, hostiles aux rafles de l’été 1942, et désormais mis un bémol à sa collaboration aux déportations, que les Allemands n’ont pu renouveler leurs opérations avec le même succès que Vent printanier.

Bref, démontre Poliakov, la collaboration de l’Etat français a été essentielle à la déportation des Juifs de France, et ce n’est pas par humanité que Vichy a finalement réduit, de manière d’ailleurs beaucoup plus relative que ne le prétend cet historien, sa participation, jusque là zélée, à leur destruction, mais par souci de ne pas se couper de l’opinion et de l’Eglise.

Il n’y a dès lors pas eu, estime Poliakov, de politique de sauvetage organisée par Vichy. Au contraire, ces sauvetages résultent de l’intervention de la population elle-même (p. 125-129) : « Il n’est pas facile de donner un compte-rendu de ces activités, il s’agissait d’initiatives individuelles et spontanées, sans lien entre elles : de nombreux épisodes de cette épopée de fraternité et d’amour humains ne peuvent qu’échapper à tout jamais à l’historien. […] Réfléchissant à ces années et à ces tribulations, l'auteur de ces lignes croit pouvoir conclure que si les activités de sauvetage purent se poursuivre sur une si large échelle et avec relativement peu d'aléas, c'est qu'à partir de 1942 elles bénéficièrent de la complicité, au moins passive, de la grande majorité des Français, le rôle actif restant, naturellement, aux tempéraments capables d'enfreindre la loi au nom d'un impératif éthique et qui sortaient du commun. »

L’on ne peut que constater la cohérence acquise par l’analyse de Poliakov à la suite de son étude, datée, de 1951 – même si cette analyse reste imparfaite. En 1968, Poliakov est en mesure de déterminer l’existence d’une politique vichyste spécifiquement nationale, s’agissant de la « question juive », et cerne à peu près les mobiles du régime de Vichy dans les déportations de 1942 : se débarrasser des Juifs étrangers, séduire les Allemands. Se dessine ainsi une grande nouveauté dans l’appréhension, par Poliakov, de la « Solution finale » sur le territoire français, à savoir le caractère zélé de cette collaboration d’Etat qui, en la matière, anticipe les attentes de l’occupant (point qu’il développera plus précisément par la suite – cf. Léon Poliakov, « Lois d’exception de Vichy – Persécutions allemandes », La France, pays occupé 1940-1941, p. 684-695), mais disparaît progressivement à la suite du grand revirement de l’opinion en 1942. Au moins Poliakov insiste-t-il de nouveau sur ce point, ainsi que les revers militaires de l’Axe.

Mieux encore, après avoir fait de Laval, en 1951, le principal architecte français de cette politique, Poliakov se concentre davantage sur Pétain, certes de manière encore réductrice, mais ô combien cruelle, car insistant sur le fait que le Maréchal aurait surtout songé à son propre salut éternel, se félicitant de ne point choquer l’Eglise par son Statut de 1940, mais paniqué par les protestations de cette dernière en 1942.

L’analyse n’en demeure pas moins lacunaire. Poliakov erre, sans aucun doute, lorsqu’il attribue en partie les réticences de Vichy à participer aux rafles, à l’automne 1942, aux premières révélations sur le sort des déportés, ce mobile n’étant pas le moins du monde démontré par la documentation accessible, laquelle révèle en fait que l’information sur l’extermination des Juifs circulait en fait avant les rafles de juillet.

De plus, Poliakov reste encore trop affirmatif sur la politique vichyste relative aux Juifs français, quoique rappelant avec pertinence que ceux-ci vivaient déjà un véritable calvaire. Il a lu trop vite, ou pas assez, les documents allemands alors accessibles, et n’a probablement pas fouiné dans les archives françaises – ce que fera un Klarsfeld avec le résultat que l’on sait. De fait, il ne parvient pas encore à s’apercevoir que le sort des Juifs français demeure, à l’été 1942, en suspens, comme l’attestent formellement les rapports nazis, qui révèlent que les interlocuteurs allemands ont bien insisté sur ce point auprès des négociations français, en particulier Bousquet et son adjoint Leguay.

Ce n’est que quelques années plus tard que Poliakov apportera ces précisions indispensables, s’agissant des négociations de l’été 1942 : « Ainsi s’engagea un maquignonnage compliqué dont, du côté français, Pierre Laval devint la figure clef. La première contre-proposition du gouvernement de Vichy, caractéristique pour le climat xénophobe de l’époque, consista à offrir aux S.S. les Juifs étrangers de la « zone libre » mais à réclamer en échange une exemption collective pour les Juifs français des deux zones. Les négociateurs allemands y acquiescèrent, sans cacher à Laval que le tour des Juifs français viendrait à son heure, et sans doute y consentirent-ils d’autant plus facilement que leur interlocuteur leur faisait sur le champ une autre suggestion : débarrassez-nous non seulement des Juifs étrangers, mais aussi de leurs enfants ! » (Léon Poliakov, « Du Vel’ d’Hiv’ à Auschwitz », 1942-1943. Années noires, Tallandier, 1987, p. 1185)

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1 La petite phrase de Poliakov : conclusion de Nicolas Bernard 21 déc. 2009 22h40
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3 Quelle avalanche. de Boisbouvier 22 déc. 2009 01h37
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1 Pas trop dur ? de Boisbouvier 22 déc. 2009 01h34
2 "Laval ne pouvait ignorer que les enfants déportés étaient voués à la mort" de Nicolas Bernard 22 déc. 2009 10h38
3 Poliakov a vécu Vichy dans son Oflag de Diogene 25 mars 2012 23h06
1 Question de Boisbouvier 22 déc. 2009 12h07
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2 Questions stupefiantes .... de Laurent Laloup 22 déc. 2009 12h47
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5 J'ai déjà répondu ! de Boisbouvier 22 déc. 2009 16h31
6 Tracas administratifs ? de Francis Deleu 22 déc. 2009 17h17
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