***Sur le trajet vers Lüneburg, Himmler est entouré d'officiers du renseignements. Le convoi se compose de deux voitures. Il aurait été rigoureusement impossible à un agent secret britannique ou, plus encore, à un admirateur nazi, de lui remettre la capsule. A moins de considérer que les membres du convoi étaient complices de l'opération. Mais même M. Delpla, me semble-t-il, ne va pas jusque là. Et quand bien même irait-il jusque là qu'il lui faudrait démontrer que l'assassin britannique soit suffisamment stupide pour se contenter de remettre une capsule de poison à Himmler et laisser le destin faire. Quand on reçoit un ordre de mise à mort, on l'exécute, point barre.***
Une alouette de document, un cheval de raisonnement et, si les acteurs ne se conforment pas à la logique qu'on leur prête, c'est qu'ils n'ont rien fait du tout !
Suivant la distinction que j'ai faite l'autre jour, nous sommes dans l'examen de l'hypothèse "nationale" : un ordre de liquidation émis première quinzaine de mai suivant la filière Churchill -> PWE -> SOE, ordre non rattrapé malgré les changements politiques survenus entre-temps.
Ces gens ont à être discrets... mais non point vis-à-vis d'un Murphy, payé pour leur faire bon accueil et se taire. En revanche, ledit Murphy sait qu'il aura à assumer les conséquences d'une disparition, et lesdits envoyés aussi.
Les horaires, dont nous avons discuté essentiellement sous l'angle de la vraisemblance de la survie de l'ampoule et de son porteur, sont aussi à considérer du point de vue de l'arrivée de ce commando. Entre 16h et minuit, Murphy a le temps de contacter ces gens qui ont pu se faire connaître de lui x jours plus tôt en disant qu'ils cherchaient de gros poissons nazis sur ordre d'en haut, prière prévenir si indice... et d'échanger force coups de fil pour mettre au point une opération discrète. Par exemple un rendez-vous en pleine campagne avec la voiture qui emmènera le prisonnier.
L'équation est complexe : Himmler a été vu en bonne santé par des dizaines de Britanniques et d'Allemands, annoncer sa mort purement et simplement quelques heures plus tard c'est avouer un meurtre, impossible. La remise d'une capsule, pardon, je me laisse avoir à mon tour, d'une ampoule, en suggérant de la cacher dans la bouche, n'a rien, ni d'inimaginable, ni d'idiot. On peut lui laisser espérer que la bouche ne sera pas fouillée puisqu'elle ne l'a pas été contrairement à tout le reste, tout en douchant radicalement son espoir de rencontrer Montgomery ou Eisenhower et en lui faisant miroiter la corde de Nuremberg après l'étalement de ses crimes.
A cela Nicolas a fait jusqu'ici, dans une forêt d'exclamations, une seule véritable objection : ce serait lui permettre de faire du scandale en clamant que les Anglais ont voulu le pousser vers la sortie. Mais du scandale auprès de qui ? Et au prix de la perte de son unique moyen d'échapper à la corde ? A moins que théâtralement il ne dise : "Les hommes sont décidément trop méchants, je craque et je croque !" ?
En fait, ton hypothèse ne colle que si tu supposes Himmler pas si coupable que ça, ou pas si conscient que ça de ses crimes, au point de penser qu'il a une chance de recueillir la compassion de beaucoup devant cette sournoise tentative d'élimination.
Car il reste le fait, massif, que Himmler entre 16 et 20h n'avait pas de poison dans la bouche et que quelqu'un lui en a, ensuite, fourni.
Tu rejettes également mon interprétation des échanges épistolaires entre Selvester et le War Office, en 1963. On ne lui censure que le passage où il dit qu'il avait envisagé d'endormir le prisonnier pour mieux le fouiller. Tu en déduis que ce ministère pensait qu'il n'y avait rien de compromettant dans le reste. Etonnant, puisque de ce reste on pouvait déduire tout ce qu'aujourd'hui j'en déduis. Ne crois-tu pas qu'il y a une autre hypothèse ? Que Selvester, rendu à la vie civile, n'était point aisément manipulable et qu'on préférait, au moins dans un premier temps, ne pas lui laisser supposer qu'il y avait des choses à cacher. Là encore, au lieu de supputer à partir de ce que les gens auraient dû faire mécaniquement (un secret ? je censure tout, j'interdis le témoignage de Selvester ou je le lui fais corriger dans les grandes largeurs), il convient de considérer qu'ils ont vu plus loin que le bout de leur nez et mesuré les conséquences de cette censure. Une puce, que dis-j, un morpion mis à l'oreille non seulement de Selvester mais (en cas d'interdiction pure et simple de témoigner) de Manvell et Fraenkel... alors qu'en la jouant plus fine on pouvait gagner quarante ans... la preuve !
Le témoignage de Selvester avait en effet une vertu, fort bien et utilement démontrée par Nicolas : il permettait aux tenants intégristes de la thèse traditionnelle de s'accrocher, comme une bernique à son rocher, à l'idée qu'au camp n° 031 la bouche n'avait pas été fouillée. Il suffisait ensuite de mettre au point une contre-attaque avec Murphy... et c'est ce qui semble, au vu des éléments connus, s'être passé. |