Il semble en tous les cas que l'importance historique des circonstances du suicide de Himmler ait échappé à bien des gens.
Il faut préciser que la disparition inopinée, avant même tout procès, de Himmler, est une véritable catastrophe pour l'historiographie du III. Reich. Cet homme savait tout, ou presque, des événements ayant mené à l'ascension et à la chute du nazisme. Il connaissait tous les rouages de l'Ordre noir, et suffisamment bien les modalités de mise en oeuvre de la "Solution finale", qui continuent de divisier les historiens. Il avait côtoyé le Führer, et joué un rôle fondamental dans la mise en place d'un régime de terreur. En d'autres termes, les Britanniques ont perdu - et bêtement - un témoin exceptionnel.
Ordure, déchet, bourreau ? Himmler, assurément, méritait la corde. Mais pas sans procès régulier au cours duquel il aurait pu organiser sa défense. C'est là en effet un point acquis par tout Etat de Droit qui se respecte. A ce titre, certaines déclarations d'intervenants, pour qui il importerait peu que Himmler ait été assassiné ou pas, du fait qu'en tous les cas il avait bien cherché son sort, m'inquiètent un peu sur leurs conceptions de la démocratie et des droits de l'homme. Ce n'est pas parce que le Reichsführer a violé ces derniers que nous devions agir à sa manière. Les Alliés n'étaient pas des nazis. Face à des hommes qui avaient bafoué la Justice, c'est la Justice qu'il fallait convoquer pour les terrasser. En revanche, légitimer l'assassinat brutal d'un chef nazi prisonnier deux semaines après la capitulation du Reich (en temps de paix, donc), c'est se rabaisser au niveau des nazis. En d'autres mots, c'est approuver un crime.
Et là réside la clé de l'affaire.
Le mensonge historique consistant à faire de Himmler une victime d'assassins britanniques a été propagé par des escrocs négationnistes, tels que l'hitlérophile David Irving ou le néo-nazi Joseph Bellinger. Quel est l'objectif, plus ou moins avoué, de cette démarche ? Tout d'abord, mettre les vainqueurs et les vaincus sur le même plan, en faisant des Alliés des bourreaux en puissance, lesquels n'auraient pas hésité à supprimer façon Mafia un prisonnier de guerre. Le Premier Ministre britannique, Churchill, est une fois de plus dépeint comme un conspirateur inhumain (et une fois de plus l'assertion s'avère en réalité frauduleuse).
Mais l'essentiel est ailleurs. Car c'est au procès de Nuremberg que les négationnistes s'attaquent. Dans la logique de ce raisonnement, la suppression de Himmler aboutirait à discréditer le tribunal, qui n'aurait en définitive jugé que ceux que les Alliés voulaient bien voir dans le box des accusés. L'hypothèse va loin : Himmler en vie aurait - qui sait ? - révélé bien des choses gênantes sur ces mêmes Alliés, et formulé un autre point de vue sur le sort des Juifs... Autrement dit, dans cette optique négationniste, un "meurtre" du Reichsführer "prouverait" que le procès de Nuremberg n'a été qu'une farce, une "Justice des vainqueurs", et l'opportunité de mettre en place certaines "légendes" qu'aucun des accusés ne contestera (parce que corrompus ou torturés à cet effet, s'ils n'ont pas été liquidés avant - bobard négaga classique, mais... bobard quand même).
C'est pourquoi il est important de rappeler qu'au contraire les dernières heures de Himmler ne laissent aucune place au doute : Himmler, ainsi que le certifient témoignages et documents, s'est bel et bien suicidé, seul, sans l'aide de personne. Dire le contraire, c'est faire injure à la réalité et même au bon sens, et c'est faire le jeu des faussaires de l'Histoire. |