Puisque vous assurez écrire sous votre identité réelle, ma raison principale de ne pas vous faire cette répondre tombe. Donc, voici:
1° Vous avez une curieuse manière de lire. Alors que j'ai écrit: "preuve écrite ou matérielle", vous arrangez ça à votre sauce, quelques lignes après m'avoir correctement cité en : "preuve écrite ET matérielle." Alors que j'ai écrit : "vidées de substance", vous modifiez la citation en : "vidées de SA substance." Plus loin, vous falsifiez carrément ce que j'ai écrit en me faisant dire que Lutgens "avouera, LE 16 OU LE 17 JUIN, qu'il (Heilbron) a été trahi par Hardy." J'ai écrit, en toutes lettres, que Lutgens a dit cela à Heilbron le 25. C'est-à-dire après Caluire, et non avant - ce qui n'est pas sans importance - Heilbron ne le croyant pas. Nul doute qu'avec une lecture aussi attentive on puisse bâtir des romans et des légendes.
Notamment sur la culpabilité de Hardy dans l'arrestation de Heilbron. Pourquoi ce dernier, qui n'aimait pas du tout Hardy et qui, de surcroît, appartenait au réseau Frédéric, celui de Manhès, le meilleur ami résistant de Moulin, et qui, ne serait-ce qu'à ce titre, aurait eu toutes raisons d'accabler Hardy, a-t-il toujours publiquement et courageusement, exprimé sa conviction de l'innocence de Hardy dans sa capture - ce qui lui valut d'être traîné dans la boue par les partisans de la culpabilité de Hardy, comme je le relate dans Présumé ?
Lecture fautive encore quand vous prétendez que la boîte à lettres où fut trouvé par les Allemands le message fixant le rendez-vous parisien de Delestraint et Hardy fut "abusivement (attribuée) à Hardy". C'était la boîte FER, donc celle du chef de ce service, donc celle de Hardy. Personne n'ayant jamais mis cela en doute, pourquoi, diable, le faites-vous ?
2° Votre défense de la véracité du rapport Kaltenbrunner du 29 juin est amusante. Elle repose sur les dires publiquement exprimés par Ravanel à la barre du procès Chauvy-Aubrac, en février 98, si j'ai bonne mémoire. Y ayant assisté sans en perdre une minute, j'avais été assez impressionné par cette reconstruction chronologique pour la garder en mémoire et me promettre d'en vérifier la pertinence. Elle n'a pas résisté. Car elle repose entièrement sur la croyance, que vous proclamez, selon laquelle : "il n'y a eu nulle tromperie de la part du QG parisien du SD (envers Berlin), lequel n'a jamais été désinformé par Barbie." Qu'est-ce qui vous autorise à soutenir la seconde partie de cette phrase ? Avez-vous vu le rapport de Barbie ? Dans ce cas, vous êtes le seul et nous serions nombreux à désirer le lire. En réalité, comme je l'ai écrit dans Présumé, Paris n'a appris la présence de Moulin parmi les arrêtés de Caluire qu'à réception du premier convoi de ceux-ci (Lassagne, Lacaze, Aubry, Schwartzfeld, Mme Raisin) le 25 (ou le 26). Et, là, l'hypothèse de Ravanel, les lenteurs bureaucratiques et tout cela, devient pertinente et cohérente. De plus, vous passez délibérément sous silence que Barbie, convoqué à Paris pour s'expliquer, s'est fait remonter les bretelles par les grands chefs, à la suite de quoi il a dû leur livrer Moulin, vers le 3-4 juillet, et dans un piètre état.
Pour soutenir votre thèse, vous n'hésitez pas à continuer à prétendre que Barbie n'a pas reconnu Moulin sur le champ à Caluire, mais seulement, "peut-être" dans la soirée du 21, ou "au moins le 22". Comment expliquez, alors, que la chambre louée sous le nom de Marchand par Moulin, 2 place Raspail, ait été perquisitionnée dans l'après-midi du 21, mais que - ce qui serait incompréhensible si Moulin n'avait pas été instantanément reconnu - les Allemands ne se sont jamais rendus au 17, rue Renan, l'adresse qui figurait sur la carte d'identité avec laquelle il avait été pris, au nom de Jacques Martel ? Pourquoi donc, dans votre critique acharnée de mon travail et de moi-même, ne mentionnez-vous pas ces données ? Détails, sans doute, à vos yeux. J'ai la faiblesse de croire que c'est au contraire essentiel, tout comme est à mes yeux essentiel que Larat ait été filé avant Caluire, ainsi que l'a révélé il y a déjà très longtemps Henri Amoretti, l'un des premiers historiens de la Résistance lyonnaise (p. 824 de PJM), des témoins directs ayant dit que les locaux du COPA étaient sous surveillance depuis quelque temps, et le document volé par un agent anglais dans un service allemand apportant la prouve de tout cela ?
Bref, M. Bernard, soit vous n'avez pas lu ce que j'ai écrit, soit vous l'avez fait avec les oeillières de vos certitudes car vous me semblez appartenir à cette minorité qui a une fois pour toute décidé de ne jamais remettre en cause des certitudes nées du mauvais travail de certains prétendus spécialistes. Du reste, j'avais par avance anticipé votre réaction dans l'avant-dernier paragraphe de mon Introduction, Je ne peux donc rien pour vous. Dès lors, et tant que vous n'adopterez pas une attitude d'historien responsable, c'est-à-dire posé et d'une honnêteté intellectuelle irréprochable, tant que, en somme, vous ne vous distinguerez pas de la "Bienveillante" Alya Aglan, tout débat entre nous est vain. |