La page du Monde ne se présente finalement pas, comme je l'avais cru, sous la forme de petits textes permettant à chaque personne concernée d'exposer son point de vue, mais d'un article unique signé de Thomas Wieder et fait de bribes de déclarations, avec une sauce autour. On a ainsi l'impression d'un Desbois isolé face à une nébuleuse de critiques comprenant, outre Alexandra Laignel-Lavastine (dont les reproches sont toutefois fort atténués par rapport aux envolées délirantes de la Fabrique de l'histoire), le président du Mémorial de la Shoah, Georges Bensoussan, le photographe Guillaume Ribot, l'historien ukrainien Kruglov (participant du récent colloque !), Ingrao et Solchany (apparemment non interrogés sur l'absence du premier et le comportement odieux du second lors de l'émission de France-Culture, Wieder s'en tenant pudiquement à leur article plus mesuré de Vingtième siècle ), Claude Lanzmann... et enfin "plusieurs chercheurs" auxquels Desbois aurait posé des lapins. Le propos ne vole, dans l'ensemble, pas très haut.
Tout cela pour conclure sur le tort qu'aurait Desbois de cacher les archives de ses entretiens commencés en 2002 (Wieder ne doit pas avoir entendu parler de celles de l'affaire Himmler-Allen, closes jusqu'en 2098!) et l'affirmation que leur mise à la disposition des chercheurs, annoncée pour le 15 octobre prochain, dissipera peut-être "les doutes qui s'expriment aujourd'hui sur l'ampleur des découvertes et l'intérêt des entretiens". A présent, il y a doute sur le doute !
Il n'est plus question des accusations de légèreté, voire de dictature, proférées lors de l'émission ou juste après (comme la transformation du non-renouvellement d'un contrat échu en licenciement frauduleux et spoliateur; Alexandra L-L est dite s'être exprimée "notamment" sur France-Culture et un silence charitable est fait sur sa campagne de diffamation par des vagues d'e-mails), mais la morale aurait voulu qu'elles fussent brièvement rappelées, pour être dûment démenties.
Ce mondain exercice, où il est à plusieurs reprises question d'un "malaise" causé par Desbois, en crée donc un, du moins en ma personne. Il confirme à la fois que la baudruche est en voie de dégonflement rapide, et que certaines gens tiennent à ce que, de la calomnie, il reste tout de même quelque chose.
Je voudrais pour finir rappeler qu'il est, en principe, question d'histoire. Le Monde des livres , d'ailleurs, prétend présenter ici, à titre exceptionnel, une correction du point de vue qu'il avait exprimé sur un ouvrage au moment de sa sortie. Il s'agit de Porteur de mémoires , de Patrick Desbois, chroniqué en son temps par Alexandra Laignel-Lavastine, laquelle avoue aujourd'hui s'être trompée quand elle écrivait voici deux ans que cette recherche était de nature à "bouleverser les représentations que nous avions" du judéocide en Ukraine.
Après avoir dit cela en introduction, la moindre des choses serait d'indiquer en conclusion, soit que nos représentations ne sont pas bouleversées du tout, soit qu'elles le sont tout de même dans une certaine mesure, et laquelle. Mais l'histoire a été oubliée en route, au profit du procès confus d'un praticien. |