"Hitler, lui, contrôle l'essentiel", écrit François Delpla.
Et bien, non. Il ne contrôle pas l'essentiel et, d'année en année, il contrôle de moins en moins de choses pour finir par ne plus rien contrôler du tout, menant la guerre en déplaçant sur les cartes des divisions fantômes.
Dès le départ, Hitler n'a pas la maîtrise de l'appareil militaire. Il est certes le commandant suprême de la Wehrmacht et il bénéficiera jusqu'à la fin de la loyauté de Keitel et Jodl mais l'armée de terre lui échappe totalement. Hitler entre en guerre avec un Brauchitsch qui ne veut pas se battre et dont le coeur balance entre son Führer et les opposants au régime et un Halder, chef d'EM de l'OKH, qui lui ne rêve que de coup d'Etat.
Loin d'être acquise au régime et à son chef, la haute hiérarchie de la Heer est résolue à saboter l'effort de guerre et à jouer contre son camp pour précipiter la chute du Führer. Avec Kluge, Stülpnagel, Witzleben, Hoepner, Wagner, Fellgiebel, Thiele, Stieff, Thomas, Tresckow, Olbricht, Beck, Hase, Boineburg-Lengsfeld etc, l'opposition a la mainmise sur des secteurs aussi stratégiques que le commandement du groupe d'armées centre sur le front de l'Est, les commandements militaires à l'ouest, en France, en Belgique, à Paris, à Berlin, celui de l'armée de l'intérieur, les transmissions de l'OKW et de l'OKH, le département "organisation" de l'OKH etc...
A cela, il faut ajouter une pièce aussi essentielle dans la conduite de la guerre que les services de renseignements de l'armée (Abwehr), véritable nid de conspirateurs dont le principal est l'amiral Canaris.
Ce sont donc des pans entiers de l'appareil militaire qui, non seulement, échappent à Hitler mais aussi travaillent contre lui.
N'en déplaise à François Delpla, les services de sécurité eux-mêmes vont d'une part échapper au contrôle de Hitler et d'autre part ne même plus lui être loyaux. C'est le cas de Nebe, le chef de la Kripo, de "Gestapo" Müller, très vraisemblablement rallié aux Soviétiques, de Himmler et Schellenberg qui jouent leur propre jeu.
"Il connaît son monde, ce qui lui permet de déléguer beaucoup et de se concentrer sur ses manigances du moment."
Non, il ne connaît pas son monde. La preuve : il fait confiance (et jusqu'à très tard) à des traîtres comme Canaris ou des incompétents comme Goering, remplacé à la tête de la Luftwaffe alors que Berlin est encerclée par les Russes.
"Nous ignorons tout de la fréquence de ses rencontres avec Schellenberg. Nous savons en revanche que Himmler venait voir Hitler, longuement, au moins toutes les semaines et souvent beaucoup plus."
C'est là le seul argument avancé par François Delpla à l'appui de sa thèse selon laquelle Schellenberg et Himmler agissaient selon les ordres de Hitler, gourou omniscient et omnipotent. Ils se voyaient souvent donc Himmler ne pouvait pas jouer double jeu. Le moins que l'on puisse dire est que c'est un peu court. Un peu court et, surtout, en totale contradiction avec tout ce que l'on sait à ce jour sur la question. |