Bonsoir,
Le général de Gaulle, accompagné de Massigli, Philip, Palewski, Billotte et Closon, débarque à Alger le 30 mai 1943. Dans le "Journal Officiel (de la République française)"du 10 juin 1943, on peut lire l'ordonnance du 3 juin (1943) portant institution du "Comité français de la libération nationale":
Art.3. - le Comité français de la libération nationale exerce la souveraineté française sur tous les territoires placés hors du pouvoir de l'ennemi"(...) Note : ce qui exclut de fait la France à l'été 43.
Art. 4. -(...) le Comité français de la libération nationale exercera ses fonctions jusqu'à la date où l'état de libération du territoire permettra la formation, conformément aux lois de la République, d'un Gouvernement provisoire auquel il remettra ses pouvoirs. Cette date sera, au plus tard, celle de la libération totale du territoire."
Voilà pour le cadre légal défini grâce aux compétences des conseillers, tous ardents démocrates, que Charles de Gaulle a amenés avec lui à Alger. Ces ordonnances sont alors signée par le pouvoir bicéphale Giraud / de Gaulle.
Très vite, de Gaulle va demander à Giraud de faire un choix, car il ne pourrait être à la fois commandant en chef (militaire) et co-président (civil) du Comité.
Le pouvoir militaire doit être subordonné au pouvoir civil.
J.-L. Crémieux-Brilhac :
"Giraud ne veut rien entendre. L'armée est sa chose; Georges le soutient; l'appui américain renforce son intransigeance.
De Gaulle applique pour la deuxième fois sa tactique familière, la rupture : il avise par lettre chacun des des membres du C.F.L.N. qu'il "refuse de s'associer plus longtemps aux travaux du Comité tel qu'il fonctionne" et le prie de ne plus le considérer "ni comme membre, ni comme président." ("La France Libre" t.2, p. 865-866)
Cette manoeuvre gaullienne montre bien qu'il n'a pas (encore) le pouvoir à l'été 1943 en Algérie et qu'il est obligé d'user de pressions politiques dures et d'un chantage appuyé afin d'imposer son désir de restaurer une entité républicaine (provisoire) et d'éliminer les individus compromis avec Vichy.
Crémieux-Brilhac encore :
"Les évadés de France, les libéraux, les juifs se refusent à servir sous des officiers vichystes. Les permissionnaires F.F.L. et le mouvement Combat d'Afrique du Nord leur prêtent la main."
La situation est bloquée.
Giraud et Georges se plaignent auprès des Alliés. Un nouvel épisode du bras de fer entre le Connétable et le tandem Churchill/Roosevelt commence. De Gaulle subit des pressions et des menaces de couper le finacement de la France libre par les Alliés, des Alliés qui tentent de "noyer" de Gaulle dans le Comité.
En vain
Le 22 juin (1943) un compromis sera trouvé qui permettra d'achever la mise en place de la dyarchie de Gaulle - Giraud.
(le 23 juin le Connétable obtient de haute lutte la démission du gouverneur d'Afrique occidentale Boisson.)
C'est le début de l'éviction progressive de Giraud du Comité. Durant le mois de septembre, de Gaulle mène l'attaque contre le protégé des Alliés. Le 25 septembre, de retour de la Corse libérée, Giraud est informé de la création du commissariat à la Défense qui doit réduire ses pouvoirs. Il se cabre, mais finit par accepter. C'est le début de sa fin politique.
Le 26 août, les USA avaient accepté de reconnaitre, mais avec de sévères restrictions, le Comité national de libération nationale. En novembre 1943, le Comité est un gouvernement provisoire d'union nationale de centre gauche.
(la séance inaugurale de l'Assemblée consultative provisoire a lieu le 3 novembre 1943.)
Ce sont là les étapes importantes.
Concernant l'épuration et le rétablissement des lois de la République, je citerai une fois encore l'historien de la France libre : "Des ordonnances complètent - ou compléteront - l'arsenal juridique de la IIIe république : ordonnance sur l'épuration administrative, sur la répression des faits de collaboration y compris la coll. économique, sur le crime de délation, ordonnance, enfin, créant la peine d'indignité nationale (...) à tous les ministres, secrétaires d'Etat, responsables de la propagande ou de fonctions antijuives du gouv. de Vichy, ainsi qu'aux dirigeants de la Légion des combattants et aux membres des org. collaborationnistes."
Tout cet arsenal juridique est mis en place dès l'automne 1943.
Pourquoi ce long rappel ?
En lisant sur un forum que de Gaulle aurait tardivement fait abolir les lois antijuives de Vichy et sous l'infulence de Malraux (?!?), j'ai cru bon de mentionner quelle fut l'activité intense de Charles de Gaulle entre mai et novembre 1943, alors que jusqu'à la fin octobre il n'a qu'une MOITIE du POUVOIR et encore très provisoire et sous la surveillance constante et méfiante des Américains. Si les juifs d'Afrique du Nord ont refusé de servir sous les ordres des officiers de l'armée d'Afrique, c'est bien le signal fort indiquant qu'ils mettaient - à juste titre - leur espoir d'être réintégrés dans leurs droits (Décret Crémieux) par le chef de la France libre, une fois la tendance giraudiste et les néo-vichystes neutralisés, connaissant parfaitement l'antisémitisme des cadres de l'Etat français, Giraud en tête.
Une dernière chose concernant l'influence hypothétique (je dirais fabulée !) de l'auteur de "la Condition humaine",à l'automne 1943, sur les décisions du général de Gaulle, il faut savoir que le Connétable et Malraux ne s'étaient jamais rencontrés à l'époque. Malraux vivait en France et n'était pas encore entré en Résistance. Cette rencontre aura lieu, mais bien après la Libération.
Cordialement,
René Claude |