Bonsoir,
Comme promis au neveu Thiriel, la retranscription de la lettre que Rudolf Hess adressa à sa femme :
Notons que cette lettre est datée du 21 juin 1947 alors que Hess est incarcéré à Nuremberg. Il est vraisemblable que le courrier passait par la censure alliée et que Hess ne l'ignorait pas.
*** J'exécutai ce vol en ligne droite à part quelques détours en vue de déjouer la vigilance de nos amis les Anglais, et je l'exécutai seul.
C'était impressionnant de survoler seul la mer du Nord, que le coucher du soleil baignait d'une lumière irréelle.
A mes pieds d'innombrables petits nuages évoquaient un océan pris par les glaces, teinté de rose et d'une pureté de cristal. Brusquement, ces nuages se dissipèrent... bien trop radicalement à mon gré. D'après le bulletin météorologique, je devais rencontrer, à 500 mètres d'altitude, une épaisse couche de nuages. Je m'étais proposé, si la nécessité s'en faisait sentir, de m'y enfoncer, mais en réalité je ne rencontrai rien de tel. Je songeai un instant à faire demi-tour, puis je me dis qu'avec cet appareil un atterrissage de nuit serait par trop risqué. Même si je m'en sortais, l'appareil subirait des dégâts sérieux, peut-être même irréparables, ce qui mettrait fin à mon épopée.
Quoi qu'il se passe, mon secret serait éventé, et ma tentative signalée en « haut lieu », ce qui mettrait un point final à ma carrière. C'est pourquoi je me dis : « Tiens bon, quoi qu'il arrive ! » J'eus alors un coup de chance, en ce sens que l'Angleterre était recouverte d'un épais voile de brume qui reflétait la lumière du soir, ce qui constituerait pour moi une véritable protection. Je fonçai droit dans cette couche de brume, mis pleins gaz, et à quelques milliers de mètres de la côte, atteignis une vitesse terrifiante. Cette manœuvre m'évita d'être intercepté et abattu par le Spitfire qui m'avait pris en chasse. Si la couche de brume ne m'avait pas incité à y faire un piqué, j'aurais continué de voler à une vitesse raisonnable. Je ne pouvais voir ce qui se passait derrière moi, car j'étais trop à l'étroit dans ma cabine et ébloui par la lumière qui se reflétait dans le hublot du cockpit. Je saluai l'Angleterre d'un rugissement de mes moteurs, rasant presque les toits d'une petite ville côtière à une vitesse d'environ 750 kilomètres à l'heure. J'avais distancé le Spitfire qui d'en haut ne pouvait plus me voir. A l'intérieur même de la couche de brume je jouissais d'une visibilité de quelques kilomètres, aussi claire que je pouvais la désirer. Tu peux aisément imaginer le soin que je pris à ne pas m'écarter de cette couche de brume.
Je descendis jusqu'à quelque 5 mètres au-dessus du faite des arbres, des toits des maisons, des troupeaux et des gens, accomplissant ainsi ce que les aviateurs appellent faire du « rase-mottes ». Et l'aviateur anglais que je rencontrai par la suite fut visiblement ébloui par ma performance.
Chez nous, ce genre de vol est strictement interdit. Il m'est cependant arrivé, à l'occasion, de le pratiquer sur de courtes distances et de façon moins radicale. Le "Père" Bauer [*] disait toujours que, si je le pouvais, j'entrerais, aux commandes de mon appareil, jusque dans le hangar.
C'est ainsi que j'atteignis, selon le programme que je m'étais fixé, en effleurant les crêtes de chaînes de montagnes relativement peu élevées, la côte ouest, puis le domaine de celui qui, je l'espérais, deviendrait mon hôte.
Je m'élevai alors jusqu'à une hauteur de 2.000 mètres, sautai en parachute et atterris à une dizaine de mètres de l'unique ferme du voisinage. Ce fut pour moi un bienfait, car ma jambe blessée ne me permettait pas de marcher longtemps.
Le fermier m'aida à entrer dans sa maison et tandis qu'installés devant un feu de bois nous buvions une tasse de thé, je me dis que je n'allais pas tarder à être emprisonné. Et en effet je n'eus pas longtemps à attendre. *** Bien cordialement,
Francis.
[*] Le "Père" Bauer ? Il s'agit de Hans Bauer, le pilote personnel d'Hitler. |