En préambule de ce message, je propose la transcription d’un passage d’un rapport établi par Allen Dulles et Gero von Schulze-Gaevernitz (NARA RG226 Entry 190C Box 9 Folder 47, « The First German Surrender », 22 mai 1945, p. 19) :
"In making these arrangements, as well as for substantive advice and guiding throughout the entire period of the conversations, we were deeply indebted to Major Max Waibel of the Swiss General Staff. Without his help we could never have effectively maintained the contact between Switzerland and Wolff’s HQ. We could not have sent our radio operator to Milan or Bolzano, we could not have maintained that secrecy which was essential to success, but in addition to all this we had at each stage of this kaleidoscopic adventure the benefit of his sound advice, based on intimate knowledge of the technique and tactics of the Germans. In all his actions, Major Waibel conducted himself solely as a good Swiss, working in the interests of his own country to prevent the destruction of North Italy and the flooding over onto Swiss soil of the remnants of a beaten but still combatant German Army. Swiss interest in the orderly surrender of the German Army in North Italy and the peaceful turning over of the country to Allied occupation was only second to that of the Allies themselves."
Cette citation n’apporte rien de solide à la discussion. Tout au plus pouvons-nous constater que ce vibrant hommage est rendu à la seule personne de Waibel, sans aucune allusion à sa hiérarchie. La seconde partie de ce paragraphe semble même insister sur le fait que Waibel a bel et bien agi pour le bien de la Suisse, et non pour les Allemands – effort de précision qui aurait été inutile si les auteurs avaient pu dire que le chef de la NS1 avait été couvert par sa hiérarchie.
Quoiqu’il en soit, ce passage a le mérite de décrire le rôle actif joué par Waibel que Masson et Guisan disaient ignorer.
Revenons aux documents suisses (AF E5795/327). Voici la phrase de la lettre de Kobelt à Guisan (25 juin 1945) qui pose problème :
«
Oberstlt. Waibel gab im weitern bekannt, dass seine damaligen Schritte und Bemühungen von seinen Vorgesetzten gebilligt worden seien. »
(Trad. : «
Le lieutenant-colonel Waibel a fait savoir ensuite, que ses démarches et ses efforts de l’époque étaient tolérés par ses supérieurs. »)
Et Kobelt de poursuivre en demandant à Guisan et Masson de lui signifier si c’était bien le cas.
Or, pour tolérer, il faut en principe savoir ce qu’il faut tolérer. C’est entendu. Toutefois, il faut se rappeler que Masson disait dans sa lettre du 5 juillet qu’il ignorait «
le rôle exact » de Waibel, pensant que ce dernier n’était que passif dans cette affaire. Il est tout à fait clair, au travers de ces documents, que Masson était parfaitement au courant que son subordonné « baignait » complètement dans les négociations. Il en tirait même une certaine fierté, comme en témoigne le passage d’un de ces rapports « strictement personnel », celui du 11 mars 1945 :
«
Les informations ci-dessus prouvent à tout le moins que les actions étrangères les plus secrètes, susceptibles d’intéresser notre défense nationale, n’échappent pas à notre vigilance. »
M. von Felten probablement raison de marquer la différence entre l’importance de l’Opération Sunrise et le « daily business » des chefs de PR. Je me permettrai tout de même quelques réflexions.
Premièrement, ce « daily business » était loin d’être toujours anodin. Dans un cas, par exemple, il a consisté à prendre une part active dans le financement de la Résistance française par les Américains. En outre, un nombre important de cas de collaboration des officiers du SR avec les services alliés ont fait l’objet d’instructions et de procès par la justice militaire helvétiques, mettant ainsi en évidence des cas d’infraction à la neutralité à des périodes bien plus dangereuses pour la Suisse qu’avril 1945.
Deuxièmement, et autres exemples, les affaires Loubatié et Passerat de la Baume – la collaboration au passage d’agents-doubles français en Allemagne début 1945 – seront considérées dans l’Affaire Masson (AF E5330/1982/1 Bd. 205 dossier 39 1945) par le juge d’instruction Müller, contrairement à l’implication de Waibel dans Sunrise.
Enfin, troisièmement, je ne suis pas certain que la « méthode » appliquée par les commandements de l’armée et du SR que j’évoquais dans mon message précédent (en gros ne rien chercher à savoir tant que tout va bien et que l’officier obtient des résultats) dépende de l’importance de l’opération, monter cette dernière étant du ressort du subordonné.
En conclusion, je n’exclue pas (encore) que Masson se soit contenté de connaître le degré « d’infiltration » de son subordonné dans les négociations de paix et que le chef du SR ait préféré ignorer comment il y était parvenu, en l’occurrence en jouant un rôle actif d’intermédiaire. D’ailleurs, Kobelt ne prend apparemment pas les affirmations de Waibel comme argent comptant non plus, puisqu’il demande à Guisan et Masson s’ils étaient réellement au courant.