Il importe que le lecteur ne soit pas induit en erreur par Delpla sur ce point : il est tout simplement faux de réduire les contradicteurs de la négationniste stalinienne Annie Lacroix-Riz à des "sauvages", à quelques "Ukrainiens" qualifiés implicitement d'extrémistes de droite, descendants de ces autres Ukrainiens qui ont collaboré à l'extermination des Juifs par les nazis. Delpla n'écrivait-il pas, en effet, qu'"il me paraît intéressant de rappeler que ceux qui l'accusent [Annie Lacroix-Riz] de négationnisme, du moins quand ils dirigent des associations qui s'affichent "ukrainiennes", feraient bien de balayer devant leur porte à propos de la participation de civilclics ukrainiens au judéocide, dont ils ont tendance à peu priser l'évocation" ?

La famine a traumatisé les Ukrainiens dans leur ensemble. Et pour cause : elle a fauché plusieurs millions d'entre eux, morts dans d'atroces souffrances, parfois victimes de cannibalisme. Cette catastrophe a profondément marqué la mémoire de l'Ukraine, et empoisonne les relations russo-ukrainiennes, le régime poutiniste tentant de minimiser la tragédie pour lui préférer une Histoire soviétique un tantinet plus "glorieuse".

La négation de cette famine procède en effet d'un discours cherchant à réhabiliter Staline, de plus en plus intronisé en Russie à l'heure actuelle comme l'une des grandes figures du passé russe. Une telle contestation d'un fait historique aussi établi nourrit également l'objectif diplomatique d'un retour de l'Ukraine dans l'orbite du Kremlin. Le tout dans un contexte où les archives soviétiques se referment, et où Moscou refuse d'entendre parler davantage de Katyn.

Dans cette hypothèse, il me semble particulièrement malvenu, voire malveillant, de rabaisser les adversaires des négateurs de cette famine (dont fait partie la militante stalinienne Annie Lacroix-Riz) à des excités ultra-nationalistes, descendants des nazis. Les négateurs du génocide juif n'agissent pas autrement, d'ailleurs, lorsqu'ils qualifient d'extrémistes "sionistes" ceux qui se consacrent à réfuter leur propagande. De toute évidence, nous sommes toujours l'extrémiste de quelqu'un d'autre...

L'étude de la famine ukrainienne suppose rigueur et pudeur. Rigueur en matière de sources, pudeur face aux souffrances. Pour ma part, j'ai modestement tenté d'aider d'éventuels lecteurs à y voir plus clair, tout en réfutant au passage plusieurs assertions négationnistes émanant d'Annie Lacroix-Riz, qui manipule à l'envi les sources diplomatiques françaises sur la question. Delpla, de son côté, soutient mordicus cette même négationniste, qu'il connaît personnellement, quitte à multiplier à de trop nombreuses reprises les inexactitudes sur ce vaste sujet.

Il faut, à cet égard, relire L'Art d'avoir toujours raison, le petit manuel que consacre Schopenhauer à la manière d'emporter l'adhésion de l'auditoire en usant de procédés de mauvaise foi. Le recours à l'amalgame dégradant n'est autre que le 32e stratagème recensé par cet expert. De même, lorsque Delpla écrit que "tu te trompes tellement dans ton argumentation juridique qu'un enfant peut le voir et que je vais laisser tranquillement advenir la chose", il fait usage du 28e stratagème, qui consiste à "ridiculiser d'autorité en tablant sur la naïveté de l'auditoire". Enfin, la dernière partie de son message relève de la diversion pure et simple. Mais il est si facile de réduire mon argumentaire à un règlement de comptes avec Delpla, n'est-ce pas ? La vérité est que je lutte contre l'escroquerie intellectuelle en Histoire, sous toutes ses formes, et d'où qu'elle vienne. Les divagations d'Annie Lacroix-Riz doivent, à se titre, être aussi sévèrement combattues que celles d'un Faurisson. Delpla, pour sa part, appuie cette négatrice des crimes stalinien, qu'il connaît d'ailleurs personnellement.

Il demeure que l'histoire de la famine ukrainienne n'a que faire de tels procédés, des négations au pinaillage, des égos personnels et des copinages universitaires. J'ajouterai pour ma part que l'inqualifiable, puisque ce mot a été employé par la partie adverse, est précisément pour moi d'être assimilé à une certaine frange (pour ne pas dire fange) de l'échiquier politique ukrainien. Mais après tout, quoi d'étonnant ? Lorsque l'adversaire n'a rien à répondre, il use de stratagèmes vieux comme le monde.