Ouh là, je n'écris pas et n'ai jamais écrit que Hitler attendait de chaque Etat de la planète une législation antisémite et un projet d'expulsion de sa communauté juive vers une terre lointaine, ce pour la fin des années trente, ce qui serait absurde. J'insiste en revanche sur le fait qu'il lui suffit de susciter quelques idées, de rendre politiquement acceptables - voire "nécessaires" - des concepts qui n'auraient jamais été admis dans les calculs diplomatiques avant 1933, en particulier celui de
"solution territoriale".
Il s'agit, pour le
Führer, de préparer les esprits à une solution d'ensemble de la
Judenfrage, d'un tout autre genre, et qui intéresse le sort des Juifs d'Europe, stratégie qui culminera en 1940 avec la conception du projet Madagascar dans la foulée des tentatives de négociation avec la Grande-Bretagne. J'ai longtemps pensé, jusqu'à la publication du livre d'Edouard Husson (
Heydrich et la Solution finale, Perrin, 2007), que cette opération n'était qu'un vaste bluff, mais je crois à présent qu'il n'en est rien, et qu'il était au contraire question d'y planifier, pour les millions de Juifs déportés, un "génocide lent", peut-être le temps d'une génération.
Certes, en 1938, le concept de "solution territoriale" ne s'adresse, pour le moment, qu'aux Juifs du
Reich. Ce n'est que lorsque Hitler sera en position de force sur l'échiquier européen qu'il pourra faire monter les enchères - et ne s'en privera d'ailleurs nullement, puisque le Ministère nazi des Affaires Etrangères, de même que les
S.S., plancheront sur une déportation de plusieurs millions de Juifs, en 1940.
En attendant, Hitler veut compromettre ses voisins, par étapes. C'est en cela que la participation suisse au durcissement de la législation antisémite allemande, en 1938, est un succès total, car il ouvre la voie à d'autres compromissions.
Quand on lit le discours, plutôt pétainiste, de Marcel Pilet-Golaz du 25 juin 1940, on se dit, décidément, qu'en cas de triomphe militaire nazi au printemps 1940, la Suisse serait sans doute allée encore plus loin, ne serait-ce que pour ne pas froisser le nouveau maître de l'Europe. L'échec de Hitler que vous mentionnez découlera d'un seul et unique facteur : la persistance des Britanniques à résister en 1940.
Pour revenir au cas de la Pologne, vous avez raison de souligner que c'est, pour Hitler, une réussite, même si cette dernière ne mènera pas loin, en termes pratiques et locaux, puisque le
Führer a l'intention de détruire ce pays. Il n'est donc pas nécessaire, à ce titre, que le projet malgache polonais concorde avec celui que l'Allemagne imaginera en 1940 : il suffit simplement qu'un tel projet existe, et que les idées dont il est porteur se diffusent. Le fait que l'un des principaux ministres roumains déclare, en 1938, être séduit par une telle idée, me paraît, dans ces conditions, significatif.
Quant à savoir si l'initiative des persécutions et du projet malgache de Varsovie est
exclusivement polonaise, difficile de trancher. Comme l'indique Malzer (
op. cit., p. 131), les propositions polonaises d'émigration juive à Madagascar ont été perçues par le Quai d'Orsay comme une manière de légitimer des ambitions coloniales en coordination avec l'Allemagne, mais l'auteur ne creuse malheureusement pas ce point.
Dans le sens d'une initiative polonaise qui ne devrait strictement rien à la politique menée en Allemagne à la même époque, vous faites remarquer qu'
"en ce qui concerne la solution malgache, le chapitre 9 de Melzer – à la suite de votre propre référence – va dans le sens d’une initiative polonaise. Elle n’est envisagée qu’après un quota imposé par les Britanniques pour la Palestine [...]" Or, vous oubliez que les restrictions d'accès à la Palestine édictées par les Britanniques en 1936 sont la conséquence directe de l'accroissement de l'émigration juive vers ce territoire, laquelle résulte d'une politique... hitlérienne.