> Oui, j'entends bien que des bourgmestres ont démissionné,
> mais la troupe, qu'a-t-elle fait, elle ? ?
Lorsqu'il s'est agi d'organiser des rafles en août 1942, la police belge n'a collaboré aux rafles qu'à Anvers, pas ailleurs, et notamment pas à Bruxelles - point sur lequel je reviendrai plus précisément qu'ici.
Pour faire bref, l'administration belge, qui n'a, malgré l'expérience de la Première Guerre Mondiale, pas été préparée au régime d'occupation, a choisi de collaborer à la politique antisémite de l'occupant. Ententons-nous bien : il s'agit effectivement de collaboration, et pas d'obéissance stricte, au sens où cette administration a agi suivant ses choix, et non une contrainte extérieure, en vertu d'une politique dite du "moindre mal" : les fonctionnaires exécuteront les ordonnances du vainqueur, mais ne sortiront pas de cadre, ne prendront aucune initiative, et s'efforceront de protéger les Juifs de nationalité belge, abandonnant les Juifs étrangers (qui constituent pourtant l'écrasante majorité des Juifs de Belgique) à leur sort. Cette attitude n'est conforme, ni à l'esprit, ni à la lettre de la Convention de La Haye de 1907, à laquelle est donnée au contraire une interprétation "maximale".
La politique de collaboration ainsi adoptée ne saurait dès lors valider l'aphorisme selon lequel l'administration d'un Etat occupé obéit automatiquement à l'Etat occupant, bien au contraire, ce d'autant que l'administration militaire allemande recherche la coopération de l'administration belge plus qu'elle ne la force, ce pour mieux exploiter le pays tout en y maintenant l'ordre.
Les fonctionnaires belges, pour leur part, optent pour une telle politique pour plusieurs motifs qui tiennent compte des spécificités locales autant que du contexte global. De manière générale, l'effondrement militaire du pays a contribué à discréditer l'appareil démocratique déjà fort critiqué dans les années trente, ce qui a rendu bien des haut-fonctionnaires sensibles à une dialectique autoritaire. Cette logique, que l'on retrouve en France à la même époque, se traduit en outre par une volonté de coopéer avec l'Allemagne, considérée comme définitivement victorieuse et dont il est opportun de rechercher les bonnes grâces.
Ces motivations priment les deux premières années de l'Occupation, et de manière uniforme, ce qui explique que l'administration belge applique les ordonnances allemandes intéressant la "question juive", quoique l'absence de centralisation étatique atténuent l'efficacité d'une politique nazie limitée par l'impératif de ne pas s'aliéner les Belges. Toutefois, à l'été 1942, une première césure intervient : à Bruxelles, l'administration désapprouve l'Etoile jaune, refuse de participer aux rafles, alors qu'à Anvers la collaboration est maintenue. Ces disparités locales semblent s'expliquer par le fait que l'administration bruxelloise allait être remplacée, ce qui a peut-être poussé ses chefs, en instance de limogeage, à ne plus prendre de gants envers l'occupant (a également pu jouer l'évolution du conflit mondial), tandis que l'administration anversoise, pour sa part, a tenu à poursuivre la politique de collaboration initiée en 1940.
D'où les rafles d'août-septembre 1942 :
15 août 1942 : la police d'Anvers accepte de participer à une rafle antisémite, menée par les S.S. et la Feldgendarmerie. Son rôle se "limite" à boucler des quartiers, à entasser les Juifs dans des camions, et à les interner en attendant leur transfert au camp de Malines, d'où partent les convois pour les camps d'extermination.
28-29 août 1942 : la police d'Anvers, cette fois, reçoit l'ordre d'exécuter les arrestations elle-même, ce qu'elle fait.
3 septembre 1942 : la police de Bruxelles refuse de procéder aux rafles, les Allemands doivent les effectuer eux-mêmes, assistés de collaborateurs locaux.
11-12 septembre 1942 : dernière rafle effectuée à Anvers, essentiellement menée par les Allemands et leurs unités de collaborateurs, la police anversoise apportant un soutien davantage logistique.
Sur le moment, cette intervention de la police anversoise n'est pas remise en cause par les autorités locales. Elle s'inscrit parfaitement dans la continuité de la collaboration décidée en 1940. Par la suite, le refus de l'administration belge d'assister les Allemands dans la politique antisémite n'intervient, de manière globale, qu'à l'automne 1942, alors que s'évanouissent définitivement les perspectives d'une victoire allemande et que le Reich instaure le très impopulaire service du travail obligatoire. Cette fois, l'administration belge revient à une lecture stricte, et non maximale, de la Convention de La Haye de 1907, obligeant les Allemands et les collaborateurs à abandonner la politique des rafles pour se concentrer sur les arrestations individuelles, lesquelles seront bien moins "profitables".
J'y reviendrai de manière plus précise, car une étude, aussi synthétique qu'elle soit, de la "Solution finale" en Belgique doit également tenir compte des facteurs liés à l'occupant, et à la population belge, notamment les Juifs, elle-même. Toujours est-il que l'attitude de l'administration belge a fait l'objet d'une étude remarquable réalisée sous la direction de Rudi Van Doorslaer, La Belgique docile. Les autorités belges et la persécution des Juifs en Belgique pendant la Seconde Guerre mondiale, éd. Luc Pire, 2007. |