Monsieur Baynac,
je doute que vous ayez eu accès aux centaines de lettres écrites par Girard et quantité d'autres documents composant ses archives personnelles. Moi oui. Celles-ci m'ont permis, par leur degré d'intimité, de brosser un portrait de Girard suffisamment fidèle pour que ses filles, Danièle Delorme en tête, souscrivent à mon travail. Ce qui, au passage, me confère une légitimité sensiblement supérieure à la vôtre dès lors qu'il s'agit d'exprimer un point de vue sur lui, à plus forte raison lorsque ledit point de vue se veut aussi péremptoire et fondé, si l'on peut dire, sur un vide documentaire. Mais il est vrai que non content de revendiquer l'étiquette de spécialiste es Jean Moulin, vous êtes également l'historien de référence concernant Girard et son réseau. Je rappellerai aux lecteurs du forum que votre précédent livre nous apprenait, sur un ton digne des meilleurs romans, que Girard avait, au moment de la débâcle de 1940, rencontré... l'amiral Darlan à Nérac. Quelle preuve vous avait-elle permis d'avancer une idée aussi énorme ? "Nérac est le village natal de Darlan", avançait doctement l'historien si bien renseigné. Heureusement que Girard ne se déplaçait pas alors du côté de Cauchy-à-la-Tour, il aurait tout aussi bien pu boire un apéritif avec le Maréchal.
Mais soyons sérieux. Il ne s'agit pas de faire de Girard un "bluffeur maladif"; c'est simplifier les choses au regard de ce qu'on peut lire dans mon livre. Vous n'êtes pas sans ignorer que le bluff est indissociable de la Résistance. Comme d'Astier, Frenay et tant d'autres, il a bluffé (les Anglais, ses hommes...), utilisant là un savoir-faire hors du commun.
Quant à mon utilisation de Peut-on dire la vérité sur la Résistance ?, permettez-moi de préciser ceci : en accédant aux archives de Girard, j'ai pu lire des textes qui ont servi de base à ce petit livre. Des paragraphes entiers, publiés par la suite, étaient déjà là. Il m'a donc semblé plus opportun de reproduire la pensée d'un auteur au travers des écrits qui n'auraient pas souffert d'éventuelles contraintes éditoriales. Reste qu'effectivement, l'opuscule de Girard rétablit un certain nombre de vérités, mais ne manque pas de tomber dans d'autres travers.
Au sujet du copinage Bodington-Bömelburg, là encore, je suis plus que sceptique quant à ses conséquences. Certes, une véritable amitié paraît avoir lié les deux hommes. De là à en faire un binôme infernal et comploteur... je ne m'y risquerai pas. Mais ne vous inquiétez pas concernant mes recherches. J'ai eu, comme vous, recours aux services de deux estimables personnes non avares en renseignements utiles. Désolé, mais vous n'avez pas ici, le moindre monopole. Vous auriez également pu ajouter que Bodington a fini au placard et que les remous causés par ses missions, voire une vie sentimentale particulièrement agitée (sa maîtresse n'était autre que l'épouse de Gillois), ont pesé jusqu'à la fin de ses jours. Mais, comme le reste, cela n'aurait eu aucune forme d'intérêt pour l'affaire Carte.
Pour en finir avec cette soi-disant « phrase clé » de Bodington qui vous rapportez, sortez de son contexte pour en extraire des conclusions farfelues, je m'étonne du fait suivant : pourquoi en avoir coupé la première partie, pourtant bien présente dans mon livre, en la privant ainsi de tout son sens ? Pour mieux la faire adhérer à votre thèse, sans doute. Car, dans son intégralité, on peut lire : « Carte avait d’excellentes idées, mais il voyait trop grand. Même s’il y avait du vrai, son histoire de réseau géant n’avait aucune utilité pratique. » Ce qui, au final, n’a rien à voir avec ce que vous avez écrit et hâtivement déduit ; je trouve vos procédés d’autant plus malvenus que vous n’avez pas hésité à m’accuser de déformer les écrits de Frager, alors que mes coupes, loin de toute malhonnêteté et réalisées dans un souci de compréhension, n’ont rien produit de tel. Malheureusement, on ne peut en dire autant de tous les puristes de l’histoire « scientifique ». Quand bien même certains d'entre eux se permettraient, tels des directeurs de recherches qu'ils ne sont pas, de proposer des pistes sur tel et tel sujet.
Enfin, pour répondre à M. Desbois, je dirai que les propos de MM. Crémieux-Brilhac et Foot, acteurs de l'histoire et chercheurs éminemment reconnus de tous - à l'exception notable de Baynac - concernant Carte insistaient sur l'importance réelle des actions menées par le réseau, d'un toute autre dimension que celle exposée dans un livre publié en 1966. Ce qui, on s'en doute, n'a pas plu à l'auteur cité plus haut.
Cordialement. |