Grâce aux archives londoniennes récemment visitées, j'ai découvert qu'il y avait deux Schmidt... et que Knochen avait commis un étrange lapsus.
Knochen, dont la défense d’après guerre, jusqu’à sa mort en 2003, fut un modèle de filouterie intelligente –suffisamment en tout cas pour que nul média ne le prenne pour cible-, lâche en 1949, dans son témoignage au procès Abetz, une allusion qui pourrait bien nous aider dans notre quête. Pour démentir que ses services aient eu quelque chose à voir avec la prétendue demande milicienne d’un otage pour venger Henriot, il dit qu’elle a pu être transmise depuis Vichy par Schmidt, qui possédait une ligne directe. Or ce Schmidt, successeur de Reiche comme représentant secret du RSHA dans l’entourage du maréchal (comme l'a révélé le livre, commenté ci-contre, de C Destremau), se prénomme Gerhardt et ne doit pas être confondu avec le Julius Schmidt qui, à Paris, est l’adjoint de Knochen et le probable donneur d’ordre lors du meurtre de Mandel. Le menteur Knochen, qui veut à toute force, lorsqu’il cause de cet épisode aux autorités françaises, éviter de parler de son adjoint, trouve tout de même le moyen de prononcer le nom de Schmidt : bel acte manqué !
Cela dit, rien n’exclut que Gerhardt ait trempé dans l’affaire autant que Julius, quoique différemment : il a pu mesurer l’effet, à Vichy, de ce meurtre, et confirmer, ce que Berlin savait déjà par le canal Laval-Abetz, que la punition suffisait, que Pétain et Laval restaient à leur poste et qu’il ne fallait surtout pas procéder à la « livraison » de Blum ou de Reynaud.
La dénégation de Knochen vaut aveu : il se moque du monde en ayant l’air de penser qu’une ligne directe Vichy-Berlin en exclut une autre, entre Paris et Berlin. Il en existait une, à coup sûr, entre l’Amt VI de Schellenberg et son antenne parisienne, dirigée par Bickler et théoriquement subordonnée au tandem Knochen-Schmidt. Or les interrogatoires des membres de cette section font parfois état de critiques envers le travail de Knochen, qui aurait été trop dirigé vers la répression et pas assez vers la manipulation des dirigeants vichyssois. C’est Bickler, probablement, qui répercutait les directives de caractère politique ; il se pourrait qu’il ait contourné l’autorité de Knochen pour traiter directement du cas Mandel avec Schmidt, décrit dans les mêmes interrogatoires comme un nazi sévère et zélé. Certains bruits font d’ailleurs état d’une prise en main de l’affaire par Schmidt sur le sol allemand : c’est lui qui serait allé chercher la victime, sinon à Buchenwald, du moins à Berlin . Dès lors Knochen, pour rester dans le vague et omettre le nom de Schmidt, aurait non pas un mobile mais deux : il voudrait non seulement dégager sa responsabilité dans un meurtre, mais cacher qu’il avait vu fondre son autorité et ne dirigeait plus son propre adjoint.
Sa responsabilité personnelle est certes engagée, puisque le meurtre est bel et bien commis par l’administration qu’il dirige, en utilisant ses locaux et ses véhicules, mais on peut lui donner acte qu’il a probablement joué un rôle marginal, et purement logistique, dans le crime proprement dit. Il se pourrait qu’il en aille de même de Knipping. |