Francis Deleu écrit :
Darnand qui avait subi les foudres de Laval à propos de l'assassinat de sept personnes à Mâcon, le 28 juin, et de l'assassinat de Mandel, le 7 juillet, avait promis au chef du gouvernement de faire quelques exemples et de sévir contre les excès de ses hommes. Il convoqua à Vichy les principaux chefs miliciens. Darnand avait sa figure des mauvais jours. Ses vieux compagnons comprirent que l'orage était dans l'air. Dans un langage un peu cru, il explosa :
- Vous ne faites tous que des conneries ! Il faudrait être sans cesse sur votre dos. Le président Laval est fou furieux. Si cela continue, je vais dissoudre la Milice. Qu'est-ce que ces conneries répétées ? Clavies, à Mâcon, bousille sept personnes en représaille de l'assassinat de Philippe Henriot... Knipping fait abattre Mandel... Vous êtes tous fous !
Knipping, présent, baissa la tête quand Darnand parla de l'assassinat de Mandel. Il ne dit rien. Il accepta l'accusation dont il était l'objet. Etait-ce un aveu ?
Darnaud commet un oubli assez surprenant, du moins quand on se souvient des conséquences judiciaires et mémorielles de l'événement : l'exécution de sept Juifs par le milicien Touvier à Rillieux-la-Pape le 29 juin 1944. Touvier avait agi par vengeance contre le meurtre de Philippe Henriot. Mais les Allemands étaient-ils intervenus dans le processus ? C'était toute la question posée au cours du procès Touvier dans les années 90 : dans l'affirmative, Touvier pouvait être poursuivi ; dans la négative, l'affaire était prescrite. Le chef d'accusation de crime contre l'humanité n'était recevable qu'à la condition que le crime ait été commis en exécution des directives d'un pays de l'Axe.
Il est évidemment exclu que les Allemands n'aient pas été avertis. Touvier a prétendu que le chef local du
S.D., Werner Knab, avait requis la suppression physique de cent otages - puis trente. Touvier aurait obtenu de ramener ce chiffre à sept, ce qui lui permettra de prétendre par la suite avoir sauvé 23 personnes... qui n'étaient pas entre ses mains. S'il faut rejeter l'idée que Touvier ait agi sur ordre allemand - si ordre il y avait, Touvier n'aurait pu négocier - on ne peut toutefois exclure que le chef milicien ait répondu à une demande émanant des Allemands. J'en veux pour preuve la religion des otages fusillés, qui témoigne d'une volonté allemande : les miliciens n'auraient pas ressenti une telle subtilité, ils auraient fusillé des otages résistants, comme le traître Clavies l'avait fait à Mâcon.
Le propos attribué à Darnand est hautement invraisemblable. Clavies n'a pas fait l'objet de la moindre sanction, pas plus que Knipping. Et ce dernier était évidemment au courant de la finalité de l'opération Mandel, car il avait adressé à Vichy un télégramme immédiatement après l'assassinat, et qui se concluait par ces mots :
"Ne pas agir dans l'affaire d'hier aurait eu pour conséquence de nous faire perdre entièrement la confiance des S.S." (cité
in Jean-Pierre Azéma, "Paul Touvier, un collaborateur dans l'histoire. Les hommes en noir de la Milice",
Le Monde, 17 mars 1994).
En ce qui me concerne, j'ignore si Mandel a été supprimé dans le cadre d'une manipulation hitlérienne. Pourquoi pas, après tout, puisqu'il est livré à un service d'ordre sanguinaire alors que personne ne le réclame. La thèse d'une réaction à chaud de miliciens isolés ne tient également pas la route. Quant au concept d'une vengeance du meurtre de Philippe Henriot, je n'y crois pas. La vengeance s'était déjà produite, dix jours plus tôt, à Rillieux-la-Pape et Mâcon : quatorze morts. On peut supposer également que les "interrogatoires intensifs" se sont traduits par une aggravation des tortures.