Halte au galvaudage ! - Les assassins de la mémoire - forum "Livres de guerre"
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Les assassins de la mémoire / Pierre Vidal-Naquet

En réponse à -3 -2
-1Les mots sont comme les individus... de françois delpla

Halte au galvaudage ! de Nicolas Bernard le dimanche 18 juin 2006 à 13h33

François Delpla écrit : Je ne regrette pas personnellement d'avoir proposé à brûle-pourpoint, il y a quelques années, un élargissement de la définition du négationnisme. Tout le monde y est venu (y compris Nicolas parlant hier ici même d'Annie Lacroix-Riz) et je n'en tire aucune fierté. Tout ça nous échappe. En l'occurrence c'est une excellente chose car un mot, quel qu'il soit, réservé au malheur d'un groupe, cela ne va pas dans un sens souhaitable, en notre époque de foires d'empoigne ethniques.

Vous déformez la réalité. Vous proposiez d'élargir le mot "négationnisme", non à la négation des autres génocides et meurtres de masse (l'extension s'est déjà produite, et elle est totalement assumée), mais à la négation de l'agressivité hitlérienne.

A quoi Gilles Karmasyn vous avait répondu, le 15 juillet 2002 :

"Mal nommer les choses, c'est ajouter au malheur du monde, disait Camus.

Dans le domaine de l'historiographie du régime nazi et de la Seconde Guerre mondiale, de nombreux évènements et phénomènes présentent des difficultés de nomenclature. Plusieurs raisons se conjuguent dont la moindre n'est pas la perversion dont la langue fut l'objet de la part des Nazis (lire, relire l'incontournable ouvrage de Victor Klemperer, LTI La langue du IIIe Reich, Albin Michel, collection Agora, 1996). On se laisse souvent aller à utiliser le vocabulaire des Nazis alors même que l'on se veut soi-même vigilant. Combien de fois n'ai-je pas moi-même utiliser « Solution Finale » sans guillemets, pour désigner le génocide des Juifs. Cet évènement là fait d'ailleurs l'objet d'un problème lexicologique majeur: Holocauste (trop religieux et anglo-saxon), Shoah (trop "juif"), Génocide (trop "généraliste, alors même que le terme a été inventé pour désigner cet évènement...), Destruction des Juifs (trop "hilbergien"...).

Faut-il parler de « IIIe Reich », sans état d'âme (mais ne cautionne-t-on pas quelque part le projet même?) ou de « régime nazi »?

J'en viens au terme qui me préoccupe: « négationnisme ». Commençons par vider la « querelle » à propos de l'autre mot qui a servi, et sert encore parfois, hélas, à nommer ce discours: « révisionisme ». Le terme négationnisme a été justement formé en 1987 par l'historien Henry Rousso dans le but explicite de lever la perverse ambiguïté et la parfaite inadéquation de « révisionnisme » pour désigner le discours des négateurs du génocide : « Le grand public découvre [en 1978] le milieu interlope des "révisionnistes", un qualificatif qu'ils s'attribuent impunément : le révisionnisme de l'histoire étant une démarche classique chez les scientifiques, on préférera ici le barbarisme, moins élégant mais plus approprié, de "négationnisme", car il s'agit bien d'un système de pensée, d'une idéologie et non d'une démarche scientifique ou même simplement critique. » (Henry Rousso, Le syndrome de Vichy, Seuil, Points Histoire, 1990 -- 1ère éd. 1987--, p. 176)

La révision est consubstantielle du travail de l'historien. Évitons de donner du « révisionnistes » aux falsificateurs ignobles que sont les négateurs de génocides. J'enfonce ce clou là:

Réjouissons-nous: dans une grande mesure, la bataille lexicologique autour de la désignation du discours négationniste comme « négationniste » et non « révisionniste » est plutôt gagnée. Ce n'est pas peu.

Voici que François Delpla propose d'étendre l'objet que désigne le « négationnisme » aux discours qui cherchent à relativiser (en allant vers une forte minimisation) la responsabilité d'Hitler et des Nazis dans le déclenchement de la Seconde guerre mondiale.

Il faut admettre que cette contestation de responsabilité accompagne systématiquement les discours négationnistes. Mais c'est également un discours qui peut exister de façon autonomne, sans nier ni que le conflit ait eu lieu, ni que les Nazis aient commis des crimes (même si la contestation de leur responsabilité dans le déclenchement du conflit vise à diminuer leur culpabilité).

Vouloir désigner une interprétation, parfaitement erronée et scandaleuse certes (au point, oui, de travestir la réalité) des évènements sous le même vocable de « négationnisme » ne fera que brouiller une compréhension déjà pas toujours évidente autour de l'appréhension du discours niant la réalité du génocide (et des génocides). Il faut, je crois, réserver « négationnisme » aux discours de négation de la réalité (et ampleur) des massacres de masse, principalement des génocides (quels qu'ils soient: génocides des Arméniens, des Hutus, des Juifs, etc.). En effet, les discours niant la réalité des massacres de masse représentent un type cohérent (entre eux) de discours (même rhétoriques, mêmes méthodes, mêmes objectifs) et il faut pouvoir les désigner ensemble d'un même mot qui ne servirait pas à autre chose. Ce mot, nous en disposons. Ne le « galvaudons » pas. Tous les discours pseudo-historiens qui proposent des interprétations frauduleuses ne doivent pas être englobés sous ce vocable sous peine de le vider de sa substance et de diminuer la gravité perçue de son véritable objet: la négation de la réalité et de l'ampleur des massacres de masse.

Tous les massacres de masse, tous les crimes contre l'humanité ne sont pas des génocides. On voit depuis plus d'un demi-siècle comment le mot de « génocide » a été en quelque sorte investi d'une qualité de « palme d'or » des crimes contre l'humanité, au point que toute communauté victime d'un crime contre l'humanité semble essayer de le faire enregistrer sous le vocable de « génocide », ou que tout mouvement politique souhaitant jeter l'anathème sur un adversaire l'accusera de génocide. Le mot est aujourd'hui quasiment galvaudé, quasiment vidé de sa substance. Cela me semble très grave. Evitons de renouveler la même déperdition de sens pour le « négationnisme ».

Soyons donc prêts à faire le constat qu'il manque entre « révisionnisme » et « négationnisme » un mot permettant de désigner par exemple, la contestation de l'évidente responsabilité hitlérienne dans le déclenchement de la Seconde Guerre mondiale. Mais de grâce, soyons créatif, cherchons et proposons un nouveau mot, ou retrouvons un existant qui pourrait servir sans risquer de le détourner de sons sens.

J'ai eu l'occasion de forger un néologisme, certes barbare, mais pratique, pour désigner ces fanatiques religieux juifs qui trouvent de bonnes raisons à la survenue de la Shoah (il y en a!). Certains, choqués par l'ignominie d'une telle position, voulaient, pour bien marquer ce caractère ignoble, les appeler « négationnistes ». Mais cela était parfaitement impropre. J'ai proposé de les désigner sous le barbarisme (pertinent à mes yeux) de « justificationnistes ». C'est laid, mais cela évite la confusion. Je n'ai rien à offrir pour désigner ceux qui veulent innocenter Hitler, pour les « innocentationnistes » (euh, oui, ça c'est *très* laid)... Les blanchisseurs? Rien de valable ne me vient à l'esprit pour l'instant.

Ce déficit, temporaire, de vocabulaire ne saurait cependant justifier une dilution de la réalité désignée par le « négationnisme ».

Une idée, là comme ça: les « réhabilitationnistes »... Hein, dites ?

*** / ***

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