Bonjour à tou(te)s,
Joseph Kessel se souvient, lorsqu'il était à Patriotic School, de "certains visages et de quelques histoires. Elles ne sont pas les plus singulières de celles que j'ai connues, dit-il. Simplement, je ne les ai pas oubliées."
- *** Il y avait ce garçon d'une trentaine d'années, brun, avec les joues creuÂses, et dans les yeux, un feu violent fixe. Fait prisonnier pendant la débâcle, emmené dans un Stalag en Autriche, il s'était évadé en compaÂgnie de deux camarades. Ils avaient traversé le Tyrol en plein hiver, en pleine neige, par des sentiers de montagne. A la frontière, deux d'enÂtre eux furent abattus par les sentiÂnelles. Le troisième reçut une balle dans la jambe.
Interné en Suisse, il s'évade de nouÂveau, passe en France. Sa jambe suppurait. Mais les Allemands avaient dépisté sa retraite. Il s'enfuit vers le sud. L'état de sa blessure empirait. Alors il se cache sous un wagon et sur les boggies, après 72 heures de voyage, parvint au PortuÂgal. La gangrène attaquait sa jamÂbe. Ce fut un miracle s'il la conserva.
Il était à Patriotic School depuis longtemps. Le passage du Tyrol paÂraissait invraisemblable aux services secrets anglais. Leurs agents vériÂfiaient sur place.
- Il y avait ce matelot que l'armistice de Vichy avait surpris à bord d'un bâtiment de la flotte française d'ExÂtrême-Orient, en Indochine. Il attenÂdit quelques mois, espérant que ses chefs rallieraient le combat et la Croix de Lorraine. Quand il fut convaincu qu'il n'y avait rien à espéÂrer d'eux, une nuit, il se laissa glisser le long du bastingage dans l'eau obscure et gagna la côte. Puis, marÂchant au jugé, il traversa la brousse et la jungle, atteignit le territoire chiÂnois. Il fut arrêté, mais à TchoungÂ-King. De là , il passe aux Indes et s'embarque pour l'Angleterre. Son bateau fut coulé en Méditerranée. Il réembarque à Malte. Il rêvait de sorÂtir de Patriotic School pour faire des convois.
- Et je me rappelle aussi un enfant de seize ans. Il avait les yeux bleus, les joues roses, les cheveux blonds et une merveilleuse gentillesse. Quand on lui demandait comment il avait traversé l'Espagne, il racontait avec le plus grand sérieux et le plus parÂfait naturel qu'il était parti tout seul, que partout on l'avait bien reçu, qu'il n'avait jamais été arrêté, et que même les gendarmes lui avaient ofÂfert du chocolat. Il était arrivé sans encombres jusqu'à Lisbonne.
Voilà les histoires que l'on entendait chez les Français, à Patriotic School, et qui remuaient tant de courage, de volonté ou de foi. *** [*]
Saura-t-on jamais quelle fut la "dernière vie" de ces trois jeunes Français qui, comme Robert LEON n'ont peut-être pas laissé à leurs enfants, un boîte, une très petite boîte, les "souvenirs de guerre".
Bien cordialement,
Francis.
[*] Joseph Kessel, Revue de la France Libre édité à l'occasion du cinquantenaire de l'appel du 18 juin 1940. |