Dans la préface anonyme du livre de Pucheu, “ Ma vie ”, qui a été écrite au moment de la sortie du livre en 1948, probablement par un de ses proches, une phrase page 8 fait sursauter le lecteur. Le général de Gaulle aurait déclaré le 19 mars 1944 aux défenseurs de Pucheu qui vient d’être condamné à mort par le tribunal militaire d’Alger : “ …je garde mon estime à M. Pucheu ; Faites-lui savoir que je suis persuadé que ses intentions étaient bonnes, qu’il était sincère…notre seul guide doit être la raison d’état…” Cette phrase colportée par les avocats le jour où ils avaient demandé la grâce de leur client, est reprise par tous les historiens depuis.
Or ce que nous connaissons de de Gaulle cadre mal avec de tels propos.
D’abord il n’avait pas à avoir eu une quelconque estime pour ce ministre de Pétain pour la raison qu’il n’avait eu auparavant aucun contact avec lui. Avant guerre Pucheu avait un rôle de dirigeant dans l’industrie métallurgique et si celui-ci avait eu des engagements et des convictions, il n’était pas célèbre dans le monde de la politique.
De Gaulle n’était pas du genre à adresser des paroles réconfortantes pour être poli à l'entourage d'un homme dont il avait refusé la grâce.
Par contre, par son service de renseignement, le général ne devait pas être ignorant de ce que pensait de lui Pucheu *. Voici quelques extraits de son livre !
-l’acharnement absurde avec lequel de Gaulle attaque aujourd’hui encore les auteurs de l’armistice. Page 19
-Toute l’évolution politique du général de Gaulle depuis 1940 m’inspire de pénibles réflexions. Page 20
-Ce que je voudrais pouvoir mieux saisir, ce sont les mobiles psychologiques qui ont amené de Gaulle à compliquer sa croisade pour la libération…d’une tentative de réhabilitation des hommes de notre ancienne politique (de la 3ème République) et de leur idéologie. Page 22
-De Gaulle avait recruté surtout son premier entourage politique parmi les francs-maçons et les hommes du Front populaire. Page 23
-L’Angleterre…pousse si visiblement le clan politique de Gaulle à réhabiliter les traîtres communistes français de la campagne de 39/40 et à faire d’eux l’aile marchande de toutes leurs organisations. Page 24
-...De Gaulle aurait du se rallier à Giraud….Page 24
-De Gaulle dont ses camarades ont toujours particulièrement souligné l’extraordinaire orgueil et l’incapacité pour ainsi dire congénitale à jouer les rôle de second plan. Page 24
-Quels lendemains de guerre civile va-t-on nous préparer dans l’ombre…Page 26
-Ce que je regrette profondément chez de Gaulle, c’est qui’ il ait mis jusqu’à présent, dans sa manœuvre personnelle, l’esprit partisan avant le sens de l’unité. Page 26
-…certains admirateurs du général de Gaulle…connaissent aujourd’hui des heures de déception amère…De Gaulle n’a pu supporter qu’un rival heureux en la personne du général Giraud puisse apparaître… comme le chef du mouvement de libération. Page 27
-…Manœuvrier politique opérant surtout pour son compte à la manière d’un Machiavel de la Libération. Page 27
-Ce fut en outre par une extraordinaire aberration, la consécration par de Gaulle lui-même, au nom de la France combattante, des terroristes du Komintern dont beaucoup étaient des Espagnols et des Heimatlos de l’Europe centrale, comme des modèles du patriotisme français le plus pur. Page 36
-…les coteries politiques de l’entourage du général de Gaulle…Page 59
etc
Il serait étonnant que de Gaulle ait eu de l’estime pour Pucheu qui le haïssait
Le général oppose à cet homme dans ses mémoires un froid compte-rendu (page 178 du tome 2) :
“
…Quant à ceux qui ont pris, soit au « gouvernement », soit dans les principaux emplois, une responsabilité éminente dans la capitulation ou dans la collaboration, ils seront justiciables de la Haute-Cour.
Pourtant, le sort de l'un d'eux va être réglé à Alger. Il s'agit de Pierre Pucheu. Comme ministre de l'Intérieur dans le « gouvernement » de Vichy, il s'était signalé par son action rigoureuse à l'encontre des résistants, au point d'apparaître à leurs yeux comme un champion de la répression. Ayant quitté son « ministère » dans le courant de 1942, Pucheu se rendait en Espagne. Sur sa demande, le général Giraud, alors « Commandant en chef civil et militaire », l'autorisait à venir au Maroc afin de servir dans l'armée, à condition qu'il le fît en secret. Mais, comme l'ancien ministre se montrait ostensiblement, Giraud l'avait fait mettre en résidence surveillée. Par la suite, le Comité de la libération décidant d'assurer l'action de la justice à l'égard des membres du « gouvernement » de Vichy, Pierre Pucheu était emprisonné. A présent, se pose cette question : doit-il être, aussitôt, jugé?
A l'unanimité de ses membres, le gouvernement décide de faire ouvrir le procès. Au point de vue des principes, il n'y a pas motif à le remettre. Surtout, la raison d'État exige un rapide exemple. C'est le moment où la résistance va devenir, pour la prochaine bataille, un élément essentiel de la défense nationale. C'est le moment où le ministère Laval, dont Darnand fait partie comme « chargé du maintien de l'ordre », s'acharne à la briser de connivence avec les Allemands. Il faut que nos combattants, il faut que leurs adversaires, aient sans délai la preuve que les coupables ont à répondre de leurs actes. Je le déclare à la tribune de l'Assemblée consultative en citant Georges Clemenceau : « La guerre ! Rien que la guerre ! La justice passe. Le pays connaîtra qu'il est défendu. »
Pour juger Pucheu, le Comité de la libération, faute de pouvoir réunir la Haute-Cour, fait traduire l'accusé devant le « tribunal d'armée ». Le président est M. Vérin, premier président de la cour d'appel d'Alger. Les juges sont : le conseiller Fischer et les généraux : Chadebec de Lavalade, Cochet et Schmidt. Le ministère public est occupé par le général Weiss. L'accusé se défend habilement et énergiquement. Mais deux faits, entre autres, décident le tribunal à prononcer la plus sévère sentence. Pucheu, ministre, a envoyé aux préfets des circulaires impératives pour que soient fournis au Reich les travailleurs qu'il réclame. En outre, tout donne à penser, qu'au moment où les Allemands se disposaient à fusiller un certain nombre des détenus de Châteaubriant en représailles d'attentats dirigés contre leurs soldats, le malheureux leur a, spontanément, adressé la liste de ceux qu'il leur demandait d'exécuter de préférence. L'ennemi lui a donné cette odieuse satisfaction. On en trouvera la preuve formelle lors de la libération.
Au cours du procès, le général Giraud, cité comme témoin, n'a parlé de l'accusé qu'avec beaucoup do réticence. Après la condamnation, il vient me demander de faire surseoir à l'exécution. Je ne puis que refuser. Pierre Pucheu, lui, affirme jusqu'au bout qu'il n'a visé que l'intérêt public. Dans la dernière déclaration qu'il prononce devant ses juges, faisant allusion à de Gaulle, il s'écrie : « Celui-là, qui porte aujourd'hui l'espérance suprême de la France, si ma vie peut lui servir dans la mission qu'il accomplit, qu'il prenne ma vie, Je la lui donne. » Il meurt courageusement, commandant lui-même « Feu ! » au peloton d'exécution.
Dans la tempête où chancelle la patrie, des hommes, séparés en deux camps, prétendent conduire la nation et l'État vers des buts différents, par des chemins opposés. A partir de ce moment, la responsabilité de ceux-ci et de ceux-là se mesure ici-bas non à leurs intentions, mais à leurs actes, car le salut du pays est directement en cause. Quoi qu'ils aient cru, quoi qu'ils aient voulu, il ne saurait aux uns et aux autres être rendu que suivant leurs oeuvres. - Mais ensuite? - Ensuite? Ah ! Que Dieu juge toutes les âmes ! Que la France enterre tous les corps!
*Pucheu. “ Ma Vie” livre écrit pendant sa détention dans le sud-marocain et à la prison de Meknès. Amiot-Dumont 1948 |