Bonsoir,
Robert Aron et Alain Decaux ont, chacun à leur manière et avec leur sensibilité propre, relaté l'entretien accordé par le général de Gaulle aux défenseurs de Pucheu. Il pourrait être intéressant de reproduire le témoignage de Henri Frenay, le responsable du Mouvement "Combat".
Quelques jours après le jugement, de Gaulle me fait appeler. Le recours en grâce du condamné a été déposé devant lui :
- Frenay, me dit-il, vous avez rencontré M. Pucheu à deux reprises à Vichy. Rappelez-moi comment les choses se sont passées. En détail, je lui raconte mes deux entretiens, la théorie du double jeu que le ministre avait développée devant moi, l'action du gouvernement, visant, selon lui, à temporiser, à alléger pour les Français le poids de la défaite, à gagner du temps pour, le moment venu, se joindre aux vainqueurs. Je lui rappelle aussi qu'en ébruitant délibérément des conversations qui auraient dû rester discrètes, Pucheu avait sans doute voulu diviser et par conséquent affaiblir la Résistance.
Attentivement, de Gaulle m'écoute, silencieux. J'ai fini, mais son silence se prolonge.
- Ce procès est affreux, me dit-il. Cet homme n'est pas un traître au sens qu'on donne habituellement à ce mot. Peut-être, probablement même, à Vichy, il a cru servir, mais le système a été fondé sur l'abandon et n'a pu durer que dans et par les équivoques. Il en est la première victime. Le Tribunal d'Armée l'a jugé et à travers lui, c'est le système qu'il a condamné. Il ne pouvait pas en être autrement. Et maintenant...
Que veut dire de Gaulle ? Est-ce une question qu'il me pose ou bien se la pose-t-il à lui-même ? Je sens que c'est à moi de parler. J'ai l'impression que c'est un autre que moi-même qui lui répond :
- Mon général, il doit aller au bout de son destin.
(Henri Frenay, La nuit finira, page 406)
Bien cordialement,
Francis. |