Bonjour à tous,
Bonjour Nicolas, ravi de vous voir sur LDG, peut-être loin des donneurs de leçons allons-nous pouvoir débattre tranquillement.
**Pour imparfait qu'il soit, je ne vois cependant pas là un ouvrage où fleurissent les inventions de toutes sortes. Ainsi, pour ne citer que cet exemple, la version des faits de Raymond Aubrac entourant les mois, les semaines et les jours précédant et suivant la rafle de Caluire dont il a été, avec Moulin, la victime, n'a jamais vraiment pu être remise en cause, ni par Klaus Barbie, ni par Jacques Vergès (cf. par exemple Henri Noguères, "Que la vérité est amère", Robert Laffont, 1985), ni par Gérard Chauvy (lequel a été sanctionné par les historiens d'une part - exemples : Laurent Dauzou, Denis Pelletier, François Delpla, Daniel Cordier - et par la Justice - trois décisions, en première instance, appel et cassation).**
Ah ? Bon. Alors pouvez-vous m’expliquer, sur cette période entourant Caluire, pourquoi Aubrac ne souffle mot, dans son bouquin, de la réunion CAPITALE, et donc inoubliable, qui a eu lieu chez Lonjarret, le 19 juin 1943, de 17h à 19h. Au cours de cette réunion, se sont pourtant décidés la date, l’heure, et très vraisemblablement le lieu de la réunion provoquée par Jean Moulin. Un oubli pareil ne peut pas (mais je me trompe peut-être) être involontaire.
**D'où la version que je propose :
- Aubrac se frite avec des pontes gaullistes ;
- il envoie sa démission à l'Assemblée consultative, mais cette démission n'est pas acceptée ;
- Aubrac, toujours membre officiel de l'Assemblée, se considère malgré tout comme démissionnaire et s'entraîne chez les paras, à Sidi Ferruch ou Staoueli ;
- il daigne se rendre occasionnellement à l'Assemblée, au moins une fois - ce qui signifie qu'il est soumis à un traitement particulier au sein du bataillon : au vu de sa position au sein de l'appareil d'Etat en Afrique du Nord, il est possible qu'il ait joui de certaine liberté de manoeuvre et qu'il soit resté en contact avec quelques membres des institutions gaullistes, car il est mis au courant du remous de sa décision de démission (par ailleurs, il participe à diverses réunions et se rend en Corse avec d'Astier) ;
- ce traitement particulier pourrait expliquer l'éventuelle absence de mention du nom d'Aubrac ou de Samuel dans les documents que vous évoquez - à moins qu'il n'ait choisi un pseudo ? Comme on dit en pareil cas, "ce n'est qu'une hypothèse..."
- dans la seconde quinzaine de juin, il laisse définitivement tomber les paras, s'impliquant dans l'opération Caïman, avant de jouer le rôle de Commissaire de la République. Sa démission, jusque là refusée (au vu des remous suscités, on peut considérer que des amis de l'Assemblée ou d'autres organismes n'ont pas tenu à la prendre en compte), est cette fois définitivement confirmée.**
Votre version est intéressante, sauf qu’elle ne correspond pas à ce que dit Aubrac.
Dans son bouquin, il ne laisse entendre à aucun moment que sa démission a été refusée.
Je conclu donc que même si votre interprétation des faits est la bonne, ce dont je doute, Aubrac a tout de même largement édulcoré la vérité.
Et puis, il faut aussi relativiser les choses. Au printemps 1944, Aubrac n’est qu’un membre de l’assemblée comme un autre. Je ne pense pas que sa démission aurait fait un foin considérable, et je crois aussi que de Gaulle a d’autre chats à fouetter que de supplier lui-même Aubrac de bien vouloir rentrer dans le rang. C’est tout de même dévaloriser fortement le Grand Charles que de l’imaginer se préoccuper de pareils détails.
Moi je suis désolé, je veux bien admettre que la mémoire à ses limites, mais là, elles sont largement dépassées.
Limitons-nous, si vous le voulez bien à son engagement chez les paras.
Dans son texte, Aubrac parle de Staouéli et des Commandos de France.
1. Première impossibilité : les Commandos de France n’ont JAMAIS été à Staouéli.
2. Admettons qu’Aubrac se trompe sur le lieu et qu’il ait bien fait partie des Commandos de France. Ca ne colle pas au niveau des dates car cette unité a été formée au printemps 1944 par Commandant Henri d'Astier de la Vigerie et débutent leur entraînement à Sidi-Ferruch en juin 1944 (SHAT). Si Aubrac s’était engagé dans cette unité le 4 avril, il n’aurait pas pu être à l’entraînement en avril et mai. De plus la liste des membres des Commandos de France pour cette période (SHAT) ne mentionne nulle part le nom de Aubrac ou Samuel.
3. Admettons qu'Aubrac se trompe d’unité : mes recherches sur le camp de Staouéli montrent que avant juillet 1944, le Bataillon de Choc qui y est habituellement basé, est en Corse. Il ne reste sur place qu’une compagnie d’instruction. Muelle en faisait partie. Il était aspirant. Savez-vous ce qu’est le cercle des officiers d’une compagnie ? Si Aubrac en avait fait partie, je pense que Raymond Muelle (qui a toute sa tête) s’en souviendrait. Admettons le fait, invraisemblable, qu’il ait un trou de mémoire : les documents par moi trouvés au SHAT, montre que jamais un Aubrac ou un Samuel n’a fait partie du Bataillon de Choc.
4. Le JO prouve que Aubrac a voté à l’Assemblée consultative le 2 mai, puis part en visite en Corse avec Emmanuel Astier de la Vigerie du 3 au 8 mai.
Admettons que l’entrevue avec de Gaulle ait existée.
Vous voudriez me faire croire qu’Aubrac « prend des distances » avec l’assemblée sans en démissionner, part s’entraîner chez les paras, au choix dans une unité non encore créée ou dans une compagnie d’instruction où on ne retrouve aucune trace de lui, se frite avec de Gaulle et part en claquant la porte, retourne chez les paras, mais revient quand même voter à l’assemblée le 2 mai, alors que ce jour-là les questions débattues ne sont pas essentielles. Puis accompagne, comme si de rien était son ex-patron en Corse ?
Ca ne tient pas debout.
5. Admettons qu’Aubrac se soit trompé sur les dates et qu’il n’ait claqué la porte de l’assemblée qu’à son retour de Corse. OK. Mais alors, pourquoi serait-il aller voir de Gaulle le 4 avril, accompagné par un officier d’ordonnance qui n’arrivera que le 18 juin ?
6. Pour que tout cela deviennent cohérent, il faudrait admettre qu’Aubrac confond toutes les dates, les lieux, les unités, les personnes. Je veux bien, mais je suis très très septique, pour ne pas dire plus.
Non mon point de vue reste que Aubrac n’a jamais démissionné de l’assemblée avant le 27 juin, en vertu de l’article X, après sa nomination comme commissaire de la République à Marseille. Que son récit de l’année 1944 est tout à fait romancé et édulcoré.
Et j’en reviens à ma question initiale : pourquoi ?
Bien cordialement,
JRG |