Bonjour, et donc la suite...
> Votre version est intéressante, sauf qu’elle ne
> correspond pas à ce que dit Aubrac.
> Dans son bouquin, il ne laisse entendre à aucun moment
> que sa démission a été refusée.
Certes. Cela étant, son récit reste fort approximatif - sauf lorsqu'il s'agit d'évoquer la rencontre avec De Gaulle.
> Je conclu donc que même si votre interprétation des
> faits est la bonne, ce dont je doute,
Dommage ! ;-)
> Aubrac a tout de
> même largement édulcoré la vérité.
Disons que son récit est fort vague, fort imprécis. Cela étant, il s'agit de Mémoires, qui traitent de je ne sais combien de décennies en 450 pages. Je ne vais pas lui jeter la pierre. Tout le monde peut se tromper.
> Et puis, il faut aussi relativiser les choses. Au
> printemps 1944, Aubrac n’est qu’un membre de l’assemblée
> comme un autre. Je ne pense pas que sa démission aurait
> fait un foin considérable, et je crois aussi que de
> Gaulle a d’autre chats à fouetter que de supplier lui-
> même Aubrac de bien vouloir rentrer dans le rang. C’est
> tout de même dévaloriser fortement le Grand Charles que
> de l’imaginer se préoccuper de pareils détails.
Vous supposez, oui, mais cela ne reste que des suppositions. Le fait est qu'Aubrac parle d'un message de De Gaulle - selon toutes probabilités, ce message existe. Et je sens que je vais devoir me déplacer (même si j'ai autre chose à faire, et même si Aubrac n'a jamais entendu parler de moi - par malheur !)...
Aubrac écrit que son geste a suscité quelques remous. C'est un type connu, plutôt bien considéré me semble-t-il. Et cette démission ne ferait pas parler d'elle ? PERSONNE n'en ferait mention ?
> Moi je suis désolé, je veux bien admettre que la mémoire
> à ses limites, mais là, elles sont largement dépassées.
Je connais quantité d'autres cas, encore plus graves, et dans lesquels je m'abstiens de formuler une telle conclusion. Faudra que je vous parle de certaine déposition du commandant d'Auschwitz, Rudolf Höss, dans laquelle il se trompe 1) sur le nom des camps de la mort qu'il a visités en 1942 (Sobibor, Belzec et Treblinka deviennent "Wolzec, Belzec, Treblinka") et 2) sur la date de l'ordre transmis par Himmler pour l'informer de la Solution finale (et une erreur grave, puisqu'il se plante... de toute une année !).
> Limitons-nous, si vous le voulez bien à son engagement
> chez les paras.
> Dans son texte, Aubrac parle de Staouéli et des
> Commandos de France.
> 1. Première impossibilité : les Commandos de France
> n’ont JAMAIS été à Staouéli.
OK.
> 2. Admettons qu’Aubrac se trompe sur le lieu et qu’il
> ait bien fait partie des Commandos de France. Ca ne
> colle pas au niveau des dates car cette unité a été
> formée au printemps 1944 par Commandant Henri d'Astier
> de la Vigerie et débutent leur entraînement à Sidi-
> Ferruch en juin 1944 (SHAT). Si Aubrac s’était engagé
> dans cette unité le 4 avril, il n’aurait pas pu être à
> l’entraînement en avril et mai. De plus la liste des
> membres des Commandos de France pour cette période
> (SHAT) ne mentionne nulle part le nom de Aubrac ou
> Samuel.
OK. Cependant, un détail ne colle pas : Aubrac dit être parti en Corse avec d'Astier. Or, d'Astier a formé les Commandos de France.
Quelles sont les dates de création de cette unité ?
> 3. Admettons qu'Aubrac se trompe d’unité : mes
> recherches sur le camp de Staouéli montrent que avant
> juillet 1944, le Bataillon de Choc qui y est
> habituellement basé, est en Corse. Il ne reste sur place
> qu’une compagnie d’instruction. Muelle en faisait
> partie. Il était aspirant. Savez-vous ce qu’est le
> cercle des officiers d’une compagnie ? Si Aubrac en
> avait fait partie, je pense que Raymond Muelle (qui a
> toute sa tête) s’en souviendrait. Admettons le fait,
> invraisemblable, qu’il ait un trou de mémoire : les
> documents par moi trouvés au SHAT, montre que jamais un
> Aubrac ou un Samuel n’a fait partie du Bataillon de Choc.
Arguments pertinents, de mon point de vue. Perso, sur ce coup là, je n'ai pas de réponse à apporter.
> 4. Le JO prouve que Aubrac a voté à l’Assemblée
> consultative le 2 mai, puis part en visite en Corse avec
> Emmanuel Astier de la Vigerie du 3 au 8 mai.
> Admettons que l’entrevue avec de Gaulle ait existée.
> Vous voudriez me faire croire qu’Aubrac « prend des
> distances » avec l’assemblée sans en démissionner,
Nuance : Aubrac envoie sa lettre de démission, la démission est rejetée par l'Assemblée, mais Aubrac agit comme s'il avait démissionné.
> part s’entraîner chez les paras, au choix dans une unité
> non encore créée ou dans une compagnie d’instruction où
> on ne retrouve aucune trace de lui, se frite avec de
> Gaulle et part en claquant la porte, retourne chez les
> paras, mais revient quand même voter à l’assemblée le 2
> mai, alors que ce jour-là les questions débattues ne
> sont pas essentielles. Puis accompagne, comme si de rien
> était son ex-patron en Corse ?
> Ca ne tient pas debout.
On parle là d'événements qui se déroulent sur trois mois : cet emploi du temps est tout à fait plausible.
Je crois en effet que nombre d'éléments nous manquent. Aubrac fait visiblement partie d'une unité dans laquelle d'Astier joue un rôle majeur : comme par hasard, les deux vont s'embarquer pour la Corse (fait étrange, pour un banal para, non ?). Je pense que dans ce laps de temps de trois mois, Aubrac, tout en s'engageant chez les paras, n'en a pas moins poursuivi ses activités politiques, n'en a pas moins contiuné à jouer le jeu des rivalités (hors Assemblée, évidemment, car il n'est pas idiot). Bénéficiant d'une large marge de manoeuvre, il pouvait grosso merdo faire ce qu'il voulait.
Ca ne tient pas debout ? Mais l'Histoire est faite d'événements qui ne tiennent pas debout. La fuite de René Hardy le 21 juin, par exemple.
> 5. Admettons qu’Aubrac se soit trompé sur les dates et
> qu’il n’ait claqué la porte de l’assemblée qu’à son
> retour de Corse. OK.
Pas d'accord : Aubrac n'est pas considéré comme démissionnaire, mais agit comme s'il l'était.
> Mais alors, pourquoi serait-il
> aller voir de Gaulle le 4 avril, accompagné par un
> officier d’ordonnance qui n’arrivera que le 18 juin ?
Erreur de mémoire sur l'identité de l'officier. Mais Aubrac a certainement été accompagné d'un officier d'ordonnance.
> 6. Pour que tout cela deviennent cohérent, il faudrait
> admettre qu’Aubrac confond toutes les dates, les lieux,
> les unités, les personnes. Je veux bien, mais je suis
> très très septique, pour ne pas dire plus.
Raison de plus pour bétonner votre dossier en consultant toutes les autres sources accessibles (témoins, documents). Au mieux, vous parvenez à jeter le doute sur les propos d'Aubrac : si vous estimez qu'il a édulcoré, il faut aller plus loin, prouver de manière indiscutable que son emploi du temps d'avril à juin 1944 ne correspond pas du tout à ce qu'il en dit. Si vous parvenez à établir qu'il se trouvait à Alger ou ailleurs tout au long de son entraînement de para, là je vous croirai.
Car en attendant, il faut bien expliquer cette absence d'Aubrac des débats l'Assemblée consultative, hormis le 2 mai (présence qui s'explique sans doute par le départ en Corse de l'intéressé le lendemain, ce qui déjà soulève un certain nombre de questions : quels rapports a-t-il entretenu avec d'Astier ? avec d'autres pontes gaullistes ? Quel a été le rôle de De Gaulle ?).
> Non mon point de vue reste que Aubrac n’a jamais
> démissionné de l’assemblée avant le 27 juin, en vertu de
> l’article X, après sa nomination comme commissaire de la
> République à Marseille.
Je suis d'accord. Administrativement causant, Aubrac n'a jamais démissionné.
> Que son récit de l’année 1944
> est tout à fait romancé et édulcoré.
Approximatif, imprécis, vague mais de bonne foi, je dirais.
Je peux naturellement changer d'avis.
Bien cordialement,
Nicolas Bernard |