"Tous les matins, je descends au crématoire avec la liste des morts de la veille que je dois remettre en mains propres au S.S. qui surveille l’incinération, assisté de quelques détenus russes et polonais.
Ce crématoire est un infâme appentis sur la porte duquel est écrit en allemand : « Entrée formellement interdite. Le commandant du camp ».
Néanmoins j’y entre. La majeure partie de la pièce est occupée par une énorme chaudière qui brûle sans arrêt. Quand j’ai remis les feuilles au S.S., je fais la causette avec un des Russes, garçon magnifique et très sympathique, qui a déniché un bonnet d’astrakan qui lui va fort bien. Si un viticulteur fait visiter sa cave, lui me montre l’intérieur du four. La douzaine de corps qui s’y trouvent en permanence, est entassée sur une grille de fonte sous laquelle de l’anthracite chauffe à blanc. Ce n’est pas très beau à voir ces paquets informes de chair grésillante. Au fur et à mesure qu’ils brûlent, d’autres sont enfournés, poussés avec une longue pelle de fer. Il règne là une odeur de chair grillée qui serait après tout supportable si l’on n’en connaissait pas la provenance."
Michel Fliecx  |