Les rafles en zone occupée - opération Vent printanier - débutent à Paris le jeudi 16 juillet 1942 à 4 heures du matin. Dans tout Paris, des cars de police sillonnent les rues. Les policiers investissent les immeubles et les pavillons, réveillent les familles, les obligent à faire hâtivement leurs bagages avant de les emmener dans les camions qui les mèneront au centre de rétention. Parfois, des suicides se produisent : une mère jette ses enfants par la fenêtre du quatrième étage et les rejoint dans la mort, une autre petite fille fait de même, un médecin de Montreuil s’empoisonne avec sa famille. Les rumeurs couraient en effet depuis quelques jours sur une "grosse opération" contre les Juifs. Mais rares seront ceux qui avaient pris les mesures adéquates en vue d’échapper à la rafle. "Si on nous en donnait le pouvoir, on les trouverait bien, tous ces juifs qui restent planqués chez eux", s’exclamera un agent de police.
"Si nous avions su que c’était pour faire ce travail !" reconnaîtra toutefois un autre garde mobile. La plupart d’entre eux sont jeunes, ou anciens prisonniers de guerre et, dans l’ensemble, la police française s’acquitte de sa tâche sans zèle particulier, sans véritable opposition non plus, souvent avec brutalité. Quelques cas de compassion seront néanmoins recensés. L’inspecteur Petitjean témoigne (cité in Lévy/Tillard, La grande rafle du Vel d’Hiv’, Robert Laffont, 1967, et 1997, p. 42-43) :
"Vers 6 heures du matin, flanqué de mon gardien de la paix, je me présente au domicile de Mme Fuhrmann, 1, passage Saint-Sébastien. J’y trouve une jeune femme , âgée d’environ 27 ans, et son petit garçon, âgé d’environ 7 ans. Mme Fuhrmann est habillée, son petit garçon aussi. Peut-être avait-elle été alertée par les cris d’autres Israélites du passage Saint-Sébastien, déjà arrêtés et qui faisaient route avec leurs balluchons vers le préau de l’école ? En toute objectivité, je dois dire que j’avais traîné le plus possible sur le parcours qui me conduisait du gymnase Japy au passage Saint-Sébastien. Sans doute suis-je arrivé encore cinq minutes trop tôt… Que faire ? Mon gardien de la paix était là, calme, silencieux, il suivait le déroulement des opérations dont j’avais l’initiative. Il n’avait pas l’air d’apprécier beaucoup ce genre d’opération et j’ai failli le mettre en confidence, mais des "précédents" me sont revenus à l’esprit... alors je fais mine d’exécuter les ordres reçus. Après des instants douloureux (l’enfant s’accrochait à la robe de sa mère et criait : "Maman, on va nous déporter !") je peux me trouver seul avec Mme Fuhrmann. Je lui demande de me faire confiance, de me suivre sans histoires, et je lui affirme que je ferai tout pour la sauver, elle et son enfant. Elle me regarde dans les yeux et me dit : "Je vous crois et je vous suis." C’est ainsi que vers 7 heures du matin, Mme Fuhrmann et son fils se trouvent dans le préau de l’école pour être ensuite transportés par un autobus parisien vers le sinistre Vel d’Hiv’. Quant à moi, je prends congé de mon gardien de la paix, je rends compte de ma mission et je rentre bouleversé à mon domicile. Quel drame pour moi… Je revois sans cesse cet enfant qui pleure, qui crie et qui s’accroche aux vêtements de sa mère. J’ai promis de les sauver, je les sauverai, mais comment ?"
En tout état de cause, les familles sans enfants sont immédiatement envoyées à Drancy, tandis que les familles avec enfants sont parqués au Vel d’Hiv’, le complexe sportif de la rue Nélaton. Prévu pour abriter 12.000 personnes, l'établissement en reçoit 7.000, dont 4.051 enfants... dès le premier jour de la rafle ! Les conditions d’accueil sont indescriptibles : pas de nourriture, pas de place, pas assez de sanitaires, une ambiance de terreur et de chaos. "La nuit, relate un rescapé, nous étions tous recroquevillés pour dormir et beaucoup de personnes criaient. C’était affreux." Un médecin dépêché sur les lieux relate : "L’atmosphère était tellement saturée de poussière qu’elle devenait par moments irrespirable et provoquait des phénomènes de conjonctivite". La chaleur estivale est écrasante.
André Baur, qui dirige l’U.G.I.F. sur Paris (l'Union générale des Israélites de France, le "conseil juif" instauré à l'initiative allemande), a l’occasion de rendre visite au Vel d’Hiv’, dans l’après-midi du 16 juillet, soit le premier jour de la rafle parisienne (cité in André Kaspi, Les Juifs pendant l’Occupation, Seuil, 1997, p. 230) :
"La vaste enceinte grouille de haut en bas. Avant d’y pénétrer, nous voyons à l’extérieur dans une courette un pompier distribuer de l’eau à des enfants, au bout d’un tuyau d’incendie qui s’alimente dans la rue. Il n’y a donc pas d’eau à l’intérieur. Dès l’entrée, de nombreux ballots épars, des hardes enveloppées dans des édredons ficelés, des valises, des sacs de tous genres. Interrogés, les gendarmes répondent : objets perdus. Nous pénétrons sur la piste centrale par le tunnel. Spectacle. Une foule énorme dans des tribunes où les fauteuils paraissent tous occupés. A l’examen, on constate des milliers de gens assis, occupant avec leurs ballots et valises les fauteuils autour d’eux. Sur le terre-plein central, des enfants courent et semblent jouer, pourchassés par des gendarmes qui ont l’ordre de les faire remonter dans les gradins. De temps en temps, des jeunes gens apportent des baquets d’eau et tous s’y précipitent pour remplir leurs quarts, leurs casseroles, ou de simples boîtes de conserve. Sur la piste, à droite en sortant du tunnel, des brancards sont posés où geignent des femmes et des enfants étendus. Dans une petite enceinte à gauche, la Crois-Rouge a installé une ambulance où s’affairent des infirmières et les deux médecins. On a l’impression qu’il n’y a que des enfants et des malades. Pour cet ensemble, on n’a amené qu’une cinquantaine de brancards et matelas. [...] Une femme, devenue folle, est liée sur un brancard ; une autre a cherché à tuer son enfant avec une bouteille. Un autre enfant fut amené, les veines du poignet presque sectionnées par sa mère."
Annette Muller, survivante, témoigne (cité in Lévy/Tillard, op. cit., p. 62-63) :
"Cependant, mon petit frère et moi avions soif. Nous voulions aller aux cabinets. Mais impossible de passer dans les couloirs de sortie et, comme les autres, nous avons dû nous soulager sur place. Il y avait de la pisse et de la merde partout. J’avais mal à la tête, tout tournait, les cris, les grosses lampes, suspendues, les haut-parleurs, la puanteur, la chaleur écrasante. Assise près de nous sur les gradins, une femme très belle serrait un petit garçon de deux ans dans ses bras. Un garçon aux boucles brunes, au teint mat délicatement rosé. Je voyais sa mère l’enlacer sauvagement, couvrir son visage de baisers. Je pensais : comme elle l’aime. Il n’y avait plus rien à boire et à manger. Un jour, des femmes au voile bleu sur la tête ont distribué de la nourriture. Au milieu des cris et de la bousculade, on nous donna une madeleine et une sardine à la tomate. J’ai grignoté le dessus bombé de la madeleine en laissant fondre lentement les miettes sucrées dans ma bouche, j’ai mangé la sardine en léchant d’abord la tomate qui la recouvrait. C’était délicieux. Je ne me souviens pas avoir mangé autre chose au Vel d’Hiv’. Rien d’autre. Après, nous avons eu très soif. Les lèvres et la langue étaient desséchées, mais il n’y avait rien à boire. Sur les gradins, près de nous, une femme s’est subitement affaissée. Elle était morte."
Extrait d’une lettre écrite par une assistante sociale à son père (cité in Kaspi, op. cit., p. 231) :
"C’est quelque chose d’horrible, de démoniaque, quelque chose qui vous prend à la gorge et vous empêche de crier. [...] En entrant, tu as d’abord le souffle coupé par l’atmosphère empuantie et tu te trouves dans le grand vélodrome noir de gens entassés les uns sur les autres, certains avec de gros ballots déjà sales, d’autres sans rien du tout. Ils ont à peu près un mètre carré d’espace chacun quand ils sont couchés et rares sont les débrouillards qui arrivent à se déplacer de dix mètres dans les étages. Les quelques W.C. qu’il y a au Vel d’Hiv’ (tu sais comme ils sont peu nombreux) sont bouchés. Personne pour les remettre en état. Tout le monde est obligé de faire ses déjections le long des murs."
L'Etat français n'a, évidemment, pris aucune mesure pour prévenir un tel désastre. Ni avant, ni après, car c'est une chaîne de solidarité qui se met en place, ceinturée par les Allemands et les forces de l’ordre françaises, pour venir en aide aux internés en instance de déportation. Les quakers, la Croix-Rouge, l’U.G.I.F., le Secours national interviennent du mieux qu’ils peuvent. Même les policiers finissent par protester... du fait des odeurs. Mais la situation demeure catastrophique. Il n'y a que deux à trois médecins pour plus de 7.000 personnes ! André Baur vient s’en plaindre aux autorités d’occupation, qui lui opposent une fin de non-recevoir. Et les Français ? Interrogé, le chef de cabinet de Darquier de Pellepoix, patron du Commissariat général aux Questions juives, refuse d'en tenir compte.
Naturellement, cet épisode sinistre de la déportation a été évoqué à Michel Boisbouvier (l'ex-anonyme), par l'un des contributeurs de LdG, Lebel. Voici ce qu'a répondu l'ex-anonyme, sur un autre forum :
Lebel a raison. Le déficit de latrines n'a pas été retenu, ni comme crime contre la paix, ni comme crime de guerre, ni comme crime contre l'humanité par aucun des trois tribunaux internationaux qui ont existé à ce jour.
Ni celui de Nuremberg qui jugea des crimes nazis, ni celui de Tokyo qui jugea des crimes japonais (Nankin, Corregidor ..) ni celui de La Haye, qui jugea des crimes commis en Yougoslavie et en Ouganda, n'ont retenu le déficit de latrines comme motif d'inculpation.
Mais ils ont eu tort.
Lebel va certainement faire le nécessaire et protester vigoureusement pour que cesse ce scandale évident, cette atteinte aux droits de l'Homme en même temps que cette carence incroyable de la législation pénale internationale.
Cette ironie ne l'empêche pas, le 2 décembre 2009, d'en appeler à "un peu de sérieux" : "Quant aux ratés de l'opération Vel d'hiv. (le déficit des latrines, un seul point d'eau par chaleur accablante...), un peu de sérieux. Vous ne croyez pas que ce soient d'autres que le Maréchal et Laval qui en sont responsables ?" L'ex-anonyme le répètera le 14 décembre 2009, sur le ton de la pontifiante certitude : "C'est comme certains qui imputent au Maréchal le déficit des latrines au Vel d'hiv !"
Sachant que les arrestations et l'internement des Juifs relevaient de la mission de la police française, de l'administration française, dans le cadre d'une politique de collaboration menée avec l'Allemagne, qui d'autre serait responsable ? Il faut avouer que la... disons, l'"objection" de l'ex-anonyme vient quelque peu contredire ses propos, dans la mesure où il nous assène quotidiennement que c'est grâce à la "récupération" de sa police à l'été 1942 que Vichy pourra "sauver" les Juifs de France (certes en livrant les Juifs étrangers à la place des Juifs français, un détail sans doute)...
Il va sans dire que cette attitude pour le moins ironique, méprisante, mise au service d'une stratégie... d'esquive (contradictoire), ne saurait surprendre, de la part de l'ex-anonyme, qui a déjà eu à véhiculer des poncifs racistes et antisémites ( rappel des faits ici, à mettre à jour cependant). |