Ce que Nicolas Bernard évoque est du plus haut intérêt. Il reste encore beaucoup de travail à accomplir, des tonnes d'archives à déchiffrer et défricher, en espérant que les historiens locaux daigneront s'y atteler (parler le hongrois et le finnois n'est pas donné à tout le monde, en y ajoutant bien sûr le russe). Pour reprendre l'exemple italien, que je connais le mieux, les choses ne bougent que depuis quelques années seulement. Les Italiens, endormis par leurs politiciens dans les années de guerre froide, n'ont pas effectué leur "examen de conscience", pour paraphraser von Kageneck. Point de "Nuremberg italien", en dépit de listes de dizaines de criminels supposés réclamés par la Yougoslavie ou l'URSS. L'histoire de la guerre se confond aussi avec celle du colonialisme italien. Finalement, l'Italie est en guerre entre 1911, soit le début de la campagne libyenne pour arracher ce territoire à la Grande Porte, et 1945, si l'on compte les opérations de "pacification" tant en Libye qu'en Abyssinie -avec leur lot de massacres et d'exactions en tout genre-, la campagne contre le "roi des rois" Sélassié, les occupations tout autres que "joyeuses" en Slovénie (avec italianisation forcée) et dans les territoires balkaniques, en Corse, où les Chemises Noires et l'OVRA ont commis des actes qui n'ont rien à envier à ceux des SS, et j'en passe (Albanie, Grèce, URSS, etc.). Le fiasco de l'engagement italien dans la seconde guerre mondiale et la relégation de la "dernière des grandes puissances" au rang de satellite du Reich, le sol italien martyrisé par de longs et sanglants, tous ces aspects ont provoqué une amnésie générale. Le tout, orchestré par le gouvernement de la jeune République italienne, née de la défaite du fascisme. A l'image du mythe résistancialiste qui, pendant des décennies, n'a voulu entretenir que le souvenir d'une France combattante, les Italiens se sont imaginés n'être que les victimes, parmi tant d'autres, des nazis. D'où un "retour sur terre" assez rude, par l'entremise d'historiens de talent, nationaux (Del Boca, qui n'est plus tout jeune, Rochat, Rodogno, Gobetti, etc.) ou étrangers (Schlemmer,...), même si le cinéma véhicule toujours de pitoyables images d'Epinal (Capitaine Corelli, Mediterraneo, ...). Idem pour les questions juives, bien difficiles à comprendre (lois strictes en métropole, protection dans les territoires occupés, pour des motifs de souveraineté et rare moyen de "faire la nique" aux Allemands). Certes, je suis pour ma part convaincu que le citoyen italien lambda de l'époque, sous l'uniforme, n'a généralement rien accompli d'autre que son devoir de soldat, dans la stricte obéissance à ses supérieurs (il convient pour cela de bien connaître le fonctionnement de l'armée italienne de l'époque, ce qui serait bien trop long à exposer ici). Sans compter que, malgré les efforts entrepris par Mussolini, le pays compte encore un pourcentage important d'analphabètes et/ou d'illettrés, surtout dans le Sud et les îles: les ordres sont parfois mal compris, mal interprétés, ils ne connaissent rien d'autre que leurs montagnes ou leurs collines... allez leur parler du communisme, des juifs, des "Crucchi" (les Allemands), des Américains ou même du fascisme! C'est la raison pour laquelle il n'est pas étonnant de trouver de très nombreux témoignages favorables aux Italiens. Mais ce souvenir-écran ne peut occulter les exactions et les desseins funestes de ceux qui prenaient les décisions. |