En Zay, puis Mandel, Hitler se paye le luxe de compromettre Pétain, par le fait même qu'il ne rend pas aussitôt son tablier devant ces crimes "français" prouvant qu'il ne sait plus rien empêcher ni protéger personne.
Il joue pour ce faire sur leurs personnalités : ce sont des Juifs (enfin, pour Zay, "à moitié", mais, l'Action française aidant, tout le monde le dit juif), des "Juifs de nationalité française ayant rendu de grands services au pays", bref de ceux que Pétain se faisait fort de rendre intouchables, lui régnant, mais aussi des ministres avec lesquels il a eu maille à partir, ce qui fait qu'en paraissant courvir leur assassinat il paraît régler des comptes personnels.
Ler contentieux Mandel-Pétain étant connu, je me concentrerai sur celui du maréchal avec Zay, beaucoup moins connu mais que cette pipelette d'Abetz (ou d'autres mieux placés encore, voir plus loin) avait fort bien pu porter aux oreilles de son maître : en 1932, tenant conférence à Orléans, Pétain, qui venait tout juste de prendre sa retraite de généralissime, avait dit un mot contre le régime parlementaire et le tout jeune député du coin était sorti ostensiblement... provoquant une rétractation humiliante de l'omnigalonné le lendemain (c'est l'époque où l'armée fait ce qu'elle veut dans son domaine mais ne doit pas dire un mot de travers sur le régime).
Et puis je lis dans son journal de captivité (Souvenirs et solitude, p. 272), à la date du 8 mai 1942 :
En 1929, le président de la République Doumergue, allant présider les fêtes du cinquième centenaire de la délivrance d'Orléans avec le président du conseil Raymond Poincaré, ce dernier pria le maréchal Pétain de les accompagner. Il eut du mal à le décider. Jeanne d'Arc n'intéressait pas Pétain, qui bougonna : 'Le moindre de mes poilus a fait cent fois plus...' En réalité, les militaires n'aiment guère les civils qui gagnent des batailles. Il faut, pour les rallier à Jeanne d'Arc, que l'inspiration divine vienne guider sa stratégie.
Il y fallut surtout l'Occupation ! Avant elle, donc, Pétain dédaignait l'anti-anglaise Pucelle et il eût été fort malséant de le rappeler. Voilà donc une petite piste de recherche. Qui avait connu l'anecdote, qui s'en était gaussé ? Quant au journal de Zay, il pouvait fort bien être recopié au jour le jour par les flics de la Sûreté pendant ses heures de promenade, et les oreilles de Hitler à Vichy étaient grandes -comme vient encore de le révéler un peu plus le livre ici déposé de Christian Destremau Ce que savaient les Alliés. Les SS disposaient à Vichy d'un correspondant très mondain et parfaitement inaperçu, Hans Reiche.
Ce dernier, jeune officier d'aviation (lien avec Göring ?), était arrivé à Vichy fin octobre 1940 comme "correspondant de presse" (Montoire, quand tu nous tiens !), en un de ces moments où de Gaulle clamait que l'ennemi allait et venait dans la zone sud et l'empire, à la vertueuse indignation, maintenue jusqu'à nos jours, des vichystes, vichyssois ou non. Il devait partir fin 42 pour le front de l'est et s'y faire rapidement tuer. Bizarre, bizarre... qu'avait-il fait de pendable aux yeux de Himmler ? Car en fait c'était un officier du RSHA, donc l'oeil de Himmler et de Heydrich, donc aussi de qui vous savez, en plein dans l'antichambre du maréchal.
L'inconvénient du livre de Destremau est qu'il effleure ce genre d'archives : il y a à Londres un volumineux dossier, déclassifié tout récemment, sur les messages radio de Reiche interceptés par les Anglais. A voir d'urgence, sous l'angle des captifs de luxe. Si Hitler s'intéresse à eux, il y a gros à parier qu'il utilise cet espion aussi mondain que discret, des mieux renseignés sur les intrigues de la camarilla. |