Car à la (très bonne) biographie de Blunt par Miranda Carter, vous devriez ajouter l'ouvrage collectif Traîtres et trahisons, sous la direction de Sylvain Boulouque et Pascal Girard, éd. Seli Arslan (2007), et notamment l'excellente étude de Fabrice Virgili, « Du traître à la cinquième colonne (France, 1939-1945) », laquelle souligne la misogynie intrinsèque à l'accusation de trahison lorsque celle-ci désigne une femme, dans les années quarante et cinquante.
C'est assez stupéfiant, je dois l'avouer, mais après vérification, la chose est constatée : une femme ayant vécu l'époque de la Deuxième Guerre Mondiale et ayant travaillé pour l'occupant est nécessairement considérée comme ayant également accordé ses faveurs sexuelles audit occupant.
Prenez Mathilde Carré, surnommée "la Chatte" (surnom ô combien approprié, clameront ses contempteurs) : non contente d'avoir livré ses camarades de Résistance, elle se verra également accusée d'avoir partagé la couche d'officiers allemands. Ou encore Edmée Delettraz : comme elle a travaillé avec l'agent de l'Abwehr Robert Moog, il faut qu'elle ait compté parmi ses maîtresses - et tant pis si le fait n'est pas avéré et, de toute évidence, apparaît passablement hors-sujet, puisqu'il est historiquement prouvé qu'Edmée Delettraz travaillait, in fine, pour le réseau Groussard, et a tenté de prévenir la Résistance de l'imminence d'une rafle le 21 juin 1943.
C'est pourquoi, loin d'avoir été passé sous silence, l'aspect sexuel de la chose a, au contraire, été décliné sous toutes ses formes dès qu'une femme se retrouvait dans le collimateur.
En attendant, je suis fort curieux de découvrir votre future argumentation sur Caluire en général - puisque vous nous en causez à nouveau - et le rôle joué par Edmée Delettraz en particulier. Par ailleurs, je ne comprends guère que vous disqualifiiez son témoignage sous prétexte qu'il a par trop varié avec le temps - ce qui est à tout le moins inexact. A récuser ainsi un témoin, n'oubliez pas que vous risquez de vous tirer un obus de mortier dans la jambe, car je pourrais vous opposer ceci : vous devrez logiquement considérer que René Hardy est encore moins crédible, puisque ses variations, et ses mensonges avérés (sans parler de la manipulation des témoins, du lieutenant Bossé au SS Steingritt, conduits à produire des faux témoignages), sont infiniment plus graves que ceux attribués un peu facilement et très légèrement à cette Résistante.
Bref, à titre personnel, je vois assez mal ce que vous pourriez produire en faveur de l'innocence de René Hardy, mais il va sans dire que je vous recommande une certaine prudence : comme vous l'avez remarqué, je ne laisse rien passer. |