C'est vrai que je me suis laissé emporter par mon expérience personnelle, en trente mois de présence sous les drapeaux.
Une fatuité incommensurable, un mépris hautain pour la troupe, une nullité à la mesure de leur égo, ainsi me sont apparus les officiers de carrière, je suis désolé, mais je persiste et signe. Le moindre aspirant prenait des allures de Maréchal de Lattre. Les sous offs étaient des laquais, et la troupe, moins que de la merde. Dans cette armée de la république, on avait l'impression pénible que les fastes de l'ancien régime étaient bel et bien rétablis. Impression accentuée, d'ailleurs par l'écrasante majorité de noms à particules, de vieille noblesse ou de noblesse usurpée.
On n'avait certainement pas envie de se faire trouer la peau pour des zigotos pareils. Les copains ricanaient de mes indignations, moi qui avais cru au "colonel père du régiment", ils me disaient que j'étais une victime des affiches en couleurs.
C'est sous les drapeaux que j'ai failli devenir antimilitariste! Ces hommes qui ont la tache sacrée de défendre le sol sacré de la patrie, et à qui le peuple de France confiait sa jeunesse, ce n'était qu'un ramassis de fonctionnaires, puants de vanité et de carriérisme, ne perdant jamais de vue le tableau d'avancement, et les menues avantages en nature.
Mais ça explique Sedan, l'absentéisme à Londres, Mers el Kébir, la Syrie, les fuites, les piastres, et Dien Bien Phu.
Le bradage de l'Algérie, le lâchage des harkis, aussi.
C'est celui qui tient la gamelle qui est obéi.
Bon, j'arrête, je vais encore me faire des amis, je sens. |