Maintenant c'est du marketing que de faire un lien avec un dossier paru dans une reveu partenaire !
Eh non, il s'agit de Göring, donc du télégramme suivant, que je ne vais pas dissimuler plus longtemps aux ceusses qui ne veulent pas se laisser démarcher (tout de même, depuis le temps que certains critiquent mes vues sur Hitler, on pourrait attendre qu'ils connaissent le chemin de ce dossier) :
Du nouveau sur les derniers jours du Führer : un télégramme inédit de Göring
Le 23 avril 1945, Göring, depuis sa résidence de Berchtesgaden, envoie trois télégrammes lourds de conséquences, deux à Hitler et un au ministre des Affaires étrangères, Ribbentrop. Il commence par dire au Führer, dans l’après-midi, qu’en l’absence de nouvelles de lui à 22h il prendra la direction du Reich, en application de la loi de succession du 29 juin 1941. Un peu plus tard, il écrit dans le même sens à Ribbentrop, lui disant de se tenir à ses ordres à partir de minuit, sauf avis contraire de lui ou de Hitler. Ce télégramme, dont une copie est parvenue dans le Bunker, permet à Bormann (d’après le témoignage de Speer) de persuader Hitler qu’il est trahi par Göring. Il lui demande alors de renoncer à toutes ses fonctions, moyennant quoi il lui laissera la vie sauve, et Göring s’exécute dans la demi-heure. Il est néanmoins arrêté par les SS et soumis pendant quelques jours à une captivité plutôt débonnaire. Dans mon livre, j’ai estimé vraisemblable une fausse brouille, pour donner les coudées plus franches à Göring dans ses négociations projetées avec les Américains, après la disparition du Führer. Une découverte récente dans les archives anglaises m’incite à nuancer ce point de vue. Un autre télégramme, daté du 24, figure en effet dans une chemise contenant des messages interceptés et décryptés par le renseignement britannique. Le voici, traduit de l’anglais :
Mon Führer,
Du fait que Lammers et Bouhler [12] ont été arrêtés aussi je déduis qu’on vous a donné une interprétation erronée. J’avais ces deux personnes avec moi comme témoins lors du dramatique rapport du G(énéral) Koller [13] et j’ai demandé à Lammers ce qui allait arriver dans ces circonstances, après quoi il m’a pressé de prendre avant tout contact avec vous et de demander des instructions. Dans toutes les communications j’ai continuellement souligné le fait que moi le premier je m’efforçais de recueillir vos ordres et de savoir si les destinataires pouvaient recevoir des instructions directement de vous. Je n’ai donné aucun ordre, sinon de retirer au plus vite les travailleurs étrangers de la montagne et de renforcer sa défense, car l’ennemi était déjà signalé au nord de Munich. Bien plus, j’ai demandé aux deux représentants de la chancellerie du parti de maintenir le plus étroit contact avec moi, spécialement dans le cas où des messages pourraient encore être reçus par radio de Berlin. Lors de la communication du rapport de Koller, j’ai imposé le secret le plus absolu. Mon Führer, si vous aviez entendu le rapport de Koller, vous comprendriez que j’avais le devoir de poser ces questions. Je suis à présent complètement désemparé. Je ne veux ni ne peux croire que vous doutiez de ma loyauté. Mon comportement, constant pendant deux décennies, doit vous enseigner que je n’ai pas été amené à ces réflexions sans la plus pénible des luttes. Je vous demande de reconsidérer la question. Je suis en droit d’attendre que ma requête soit examinée avec autant de sérieux que l’accusation, dont je suis ignorant. Cette heure est l’heure la plus terrible de ma vie, parce que vous, mon Führer, doutez de ma loyauté .
Ce texte jure avec l’hypothèse d’un scénario convenu entre les deux hommes. Si tel était le cas, le Reichsmarchall devrait tempêter, dire que Hitler est fini, jouer précisément, à l’usage des Américains, la partition de la trahison et essayer de retourner ses geôliers au nom de l’urgence d’arrêter la guerre à l’ouest -sans risque de déplaire du côté allemand puisque nous nous plaçons dans l’hypothèse que les dés sont pipés, que les SS, en aucun cas, ne se fâcheront. Il semble donc bien que l’auteur de ces lignes craigne réellement pour sa vie et juge plus urgent de protester, auprès de ses compatriotes, de son loyalisme, que de convaincre l’ennemi du contraire. Il doit penser que quelque coterie de jaloux a enfin réussi à le perdre dans l’esprit de son maître. Alors il récapitule fébrilement ses faits et gestes depuis le 20, date de son départ du Bunker, avec le souci de prouver qu’il est resté dans la discipline et n’a nullement anticipé la succession. Du côté de Hitler, cependant, comme toujours la colère est feinte. S’il croyait son second coupable de ce dont il l’accuse, on ne voit pas pourquoi il lui laisserait la vie sauve et, s’il la lui laisse, c’est que la mission d’essayer de négocier avec l’ennemi après sa mort tient toujours. Simplement, il aura estimé qu’une brouille réelle, un désaveu total de sa part placeraient la négociation sous de meilleurs auspices, et il a omis d’en avertir l’intéressé... ou il n’a pensé à ce perfectionnement du scénario qu’après leur dernière entrevue. Il est possible que la dramatique réunion du 22 ait été l’une des nombreuses comédies du Führer. Renseigné comme il l’est, il doit bien savoir que Koller avertira Göring, peut-être même est-ce lui qui s’arrange pour cela. Dans ce cas le Reichsmarschall, comme il l’explique très bien, est obligé de venir aux nouvelles, de demander confirmation du fait que Hitler délaisse tout sauf la défense de Berlin et de prendre, dans l’affirmative, les commandes immédiatement. La présence à ses côtés de Bouhler et de Lammers atteste qu’il est en train de se constituer un état-major politique, et le fait qu’il en tire argument auprès de Hitler prouve qu’il ne le fait pas dans son dos.
Ce texte est donc à la fois pathétique et hilarant. On en viendrait presque à plaindre son auteur, si l’on ne se souvenait qu’il a fait subir à des milliers de victimes le sort qui est à présent le sien, à commencer par les morts nazis de la nuit des Longs couteaux, qui eux aussi clamaient leur loyauté envers le Führer. Au terme de ces vingt ans de complicité qu’il invoque, il est bel et bien tombé à son tour dans un piège hitlérien. Lors de son départ le 20 avril il était assuré d’une proche succession, puis voilà que Hitler semble tout lâcher, l’obligeant, malgré les précautions de style qu’il détaille, à paraître briguer avant terme l’héritage. Le Führer aura sans doute estimé que, pour convaincre les Américains de leur brouille, mieux valait encore lui donner les apparences de la réalité, par une manœuvre dont, cette fois, le Reichsmarschall n’était pas complice.
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