Bonjour,
Le prix Albert-Londres, à l'instar du prix Pulitzer aux Etats-Unis, couronne chaque année le meilleur reportage ou un ensemble de reportages de la presse écrite. En 1946, le prix fut attribué à Marcel Picard pour son reportage "J'étais un correspondant de guerre". Marcel Picard débarque en Provence avec les troupes américaines. Il les accompagnera jusqu'en juin 1945.
Je vous reproduis deux extraits pour étayer ce que nous avions appelé la "perception" qu'ont les acteurs ou les témoins d'un évènement; aussi pour montrer combien il est commode - mais également nécessaire - de porter un jugement sur les diverses attitudes des combattants. Picard est journaliste et pourtant il ne cesse de se plaindre du comportement trop humain des GI. "Vous êtes trop bons pour ces gens, vous semblez avoir peur de leur faire une peine, même légère. Vous oubliez que tout geste bienveillant est considéré par eux comme faiblesse et qu'il ne respectent que la force...J'écris ces mots, ajoute le journaliste, pour mes amis américains, pour ces magnifiques soldats que je suis depuis la Belgique dans leur rush vers le coeur de l'Allemagne".
Enfin cet extrait, sous la plume du reporter, à la limite du supportable :
(...) Aujourd'hui, il est vaincu et se vautre aux pieds des vainqueurs, criant un antinazisme délirant.
Non ! ce serait trop simple ! Les boches sont des assassins. Tous ! Par le geste ou par l'acceptation du geste qu'ils sont d'ailleurs tous capable d'accomplir.
Un peuple qui traite les hommes comme on ne traite pas les bêtes ne mérite aucune pitié. Et moi qui suis les troupes américaines à travers l'Allemagne, je dis que les boches n'ont pas assez souffert, ne souffriront jamais assez, il n'en est pas crevé assez et les femmes n'ont pas assez pleuré, Je suis odieux ? Possible. Ce sont eux qui m'ont rendu ainsi, J'ai vu trop d'atrocités en France et en Belgique, j'en vois trop dans les camps que je rencontre pour n'avoir pas envie d'abattre comme un chien tout boche que je rencontre. Et plus encore s'il me salue obséquieusement.
J'affirme que les boches ne se sentent pas vaincus parce qu'on ne leur fait pas assez sentir qu'ils le sont, Ils ne sentent pas la botte du vainqueur, et c'est cependant la seule chose qu'ils soient capables de comprendre. (...)
Les boches ne manquent de rien, sont bien nourris et se promènent en souriant. Mais il y a Buchenwald ! Il y a les quatorze crochets, la masse de bois, le monte-charge, les fours crématoires! Il y a des millions d'êtres humains qu'ils ont torturés et mis à mort, il y a des enfants dont ils ont volé le sang pour leurs blessés, il y a les chambres à gaz.
Tous ces camps de la mort, je voudrais qu'on les laissât dans l'état où on les a trouvés. Je voudrais qu'on organise des voyages dans ces camps afin que le monde entier puisse juger les boches. Je voudrais qu'on y mène - au besoin par la force - les fous dangereux qui prétendent qu'il y a de bons Allemands.
Une visite à Buchenwald suffit à vous apprendre la haine, et il est nécessaire de haïr qui vous hait afin de le mettre hors d'état de nuire.
Si nous voulons que nos enfants et petits-enfants vivent en paix, il faut que les boches, leurs enfants et petits-enfants souffrent et que par là ils se sentent vaincus.
Nous n'avons pas le droit d'avoir pitié des boches !
(Avril 1945)
Ne jetons pas trop vite la pierre aux soldats engagés dans un conflit. Peut-on jurer que 60 ans plus tard, ce journaliste (ou un confrère) qui exhortait les GI's impassibles à mitrailler un attroupement de soldats allemands désarmés, n'ait pas été tenté d'écrire un article fustigeant telle ou telle exaction d'un militaire... celui-là même peut-être qui refusait d'abattre des soldats désarmés.
Bien cordialement,
Francis. |