C’est donc finalement huit hommes qui vont participer à cette réunion [...] Peu après, le colonel Lacaze arrive place Castellane. Lui aussi inquiet, il prend le temps de vérifier les abords de la maison. Vers 14 heures, il sonne et Marguerite Brossier, la domestique, après l’avoir identifié comme un « consultant particulier », le fait entrer au premier étage, dans la chambre du médecin. Arrive ensuite Bruno Larat, puis, vers 14 h 20, Lassagne, Aubry et Hardy. L’attente commence pour les cinq hommes.
Ouaip. Je remarque que tu t'es beaucoup inspiré du texte de Baynac - auquel tu fais d'ailleurs référence dans ton article, à ce propos. Il rappelle, de manière fort peu innocente, que Lassagne, premier sur les lieux, a paru "extrêmement énervé, presque anxieux" au Dr. Dugoujon, et que Lacaze était pareillement inquiet (p. 394-395) - but du jeu : insinuer que les Allemands les suivaient peut-être, de manière à disculper Hardy.
Il retient également (p. 395) que le trio Aubry/Hardy/Lassagne arrive vers 14 h 20, ce qui est un bon indice en faveur de la détermination de l'heure de la réunion à 14 h 30.
Attente qui va se prolonger car Moulin, Aubrac et Schwartzfeld vont avoir plus de trois quarts d’heure de retard.
Encore une fois, tout dépend de l'heure exacte du rendez-vous : 14 h, et Moulin a effectivement trois quarts d'heure de retard ; 14 h 30, et la marge se rétrécit considérablement : un quart d'heure minimum.
Or, Baynac déclare que la réunion était fixée à 14 h 30 (p. 395). Ce qui ne t'empêche pas d'écrire que Moulin a trois quarts d'heure de retard (en fait, Moulin est certainement arrivé avant ou vers 15 h).
Pourrais-tu m'expliquer cette contradiction : tu acceptes la version de Baynac sur de nombreux points, mais pas sur l'heure de la réunion ?
Moulin a déjeuné en ville, on ne sait pas avec qui, puis s’est dirigé vers la place Carnot où il doit retrouver Aubrac. Les deux hommes ont rendez-vous à 14 heures selon Aubrac, 13h45 selon la femme de ce dernier.
13 h 45 est l'heure la plus vraisemblable, puisqu'ils doivent ensuite se rendre au départ de la ficelle.
De toutes les manières, cela ne change pas grand chose.
Ils prennent ensuite le tram pour se rendre à la place de la Croix-Paquet et emprunter le funiculaire pour Caluire. Ils arrivent au terminus vers 14h20 ;
Encore du Baynac (p. 396). Mais l'horaire est crédible - et dans l'ensemble, après avoir confronté les témoignages, je suis plutôt d'accord avec sa version des événements, à propos de l'arrivée des différents participants de la réunion.
le colonel Schwartzfeld, qui doit normalement les y attendre, n’est pas encore là. Il arrive, conduit par de Graaf, agent de liaison et secrétaire de Moulin. Les trois hommes montent alors dans le tram n° 33 qui, une vingtaine de minutes plus tard, les dépose place Castellane.
Ce qui explique le retard plus ou moins important de Moulin...
Examinons ce point qui, à ce jour, n’a pas encore donné lieu à une explication satisfaisante. Ce retard est dû, si l’on s’en tient au témoignage du seul survivant, à savoir Raymond Aubrac, à l’arrivée tardive du colonel Schwartzfeld au rendez-vous au terminus de la « ficelle ». Aubrac estime ce retard à environ une demi-heure. Antoine De Graaf, parle, quant à lui, de dix minutes. Ce dernier chiffre apparaît plus plausible car Moulin a la réputation d’un homme prudent, très respectueux des règles de sécurité de la vie clandestine. Alors pourquoi en transgresserait-t-il une, fondamentale, qui prévoit de ne pas patienter plus de cinq minutes à un rendez-vous ? La présence de Schwartzfeld à la réunion n’était d’ailleurs pas fondamentale, les premières décisions urgentes pouvant être prises sans lui. Alors comment ce retard s’est-il transformé en près d’une heure à l’arrivée chez Dugoujon ?Qui (ou quoi) a ralenti la marche du trio ?
Ton équation repose sur des hypothèses - au sens mathématique du terme - fragiles.
D'abord, tu écris ici que le retard de Moulin est de "près d'une heure". Plus haut, c'est près de "trois quarts d'heure". Pourquoi ce changement ?
Selon toi, la réunion a été fixée à 14 h. Comme tu accordes foi à Baynac sur l'heure d'arrivée de Moulin (15 h), tu retiens que ce dernier a perdu une heure.
En réalité, Baynac écrit que la réunion a été fixée à 14 h 30 - ce qui réduit le retard de Moulin à une demi-heure. Mais cela, bizarrement, tu ne le précises pas.
Il y a autre chose, et je vais une fois de plus me répéter car cette version n'a toujours pas été réfutée.
Si la réunion est prévue à 14 h, Moulin est le premier responsable de ce retard, puisqu'il donne rendez-vous à Aubrac et Serreulles vers 14 h au funiculaire, ce qui ipso facto le retardera d'au moins un quart d'heure, plus probablement vingt à trente minutes. Si la réunion est prévue à 14 h 30, alors le retard découle d'une autre série de facteurs.
Il faut en effet additionner le temps d'attente de Serreules (cinq à dix minutes), puis l'attente de la ficelle, la durée du parcours (cinq minutes), l'attente de Schwartzfeld (dix à trente minutes), l'attente du tram, le voyage en tram, puis le parcours à pied (total = plus de vingt minutes). Il y en a bien pour, minimum, 45 minutes, même en réduisant la marge du retard de Schwartzfeld.
Au final, le retard de Moulin est tout à fait explicable. Soit il a commis lui-même une erreur dans la datation du rendez-vous, soit il a été "victime" de l'absence de Serreulles et du retard de Schwartzfeld.
Et je ne fais que reprendre les termes de Baynac - tu avais raison, le gars n'est pas si mauvais ! ;-)
Et une question en découle : pourquoi les Allemands ne sont-ils intervenus qu’après l’arrivée tardive des trois hommes ?
Probablement par hasard et balourdise. L'une des personnes chargées de la filature de Hardy a sciemment perdu du temps, et pour revenir à Barbie, et pour le guider. Barbie lui-même ne savait pas trop où il allait. Il a du retrouver les autres agents qu'il avait placés en filature. Résultat, il perd du temps, beaucoup de temps. C'est une hypothèse qui se tient.
Les derniers « invités » arrivent donc place Castellane vraisemblablement sur le coup de 15 heures.
Là encore, c'est du Baynac, presque au mot près (p. 396). Mais tu n'acceptes pas l'heure du rendez-vous retenue par lui. Pourquoi ?
Ils sonnent. Marguerite Brossier vient leur ouvrir et les introduit… dans la salle d’attente du docteur.
Autre point pour le moins étrange : pourquoi les trois hommes ne sont-ils pas dirigés, comme les autres « conjurés » arrivés précédemment, vers le premier étage où devait se tenir la réunion ? D’aucuns ont répondu qu’il s’agissait là d’une simple erreur de l’employée de maison. Peu crédible car Marguerite Brossier connaissait parfaitement au moins l’un des trois hommes et savait la raison de sa venue. Cet homme, c’est Raymond Aubrac. Sa femme, Lucie, l’a confirmé, notamment lors de sa déposition au second procès Hardy, le 2 mai 1950. Alors si Marguerite Brossier reconnaît Aubrac, pourquoi commet-elle ce qui peut apparaître comme une erreur d'orientation ? Vraisemblablement parce qu’un des trois hommes le lui a demandé … Pour quelle raison ?
Là, et tu le reconnaissais dans une note infrapaginale, c'est du Marnham.
Tout d'abord, Marnham interprète un peu abusivement une phrase de Lucie Aubrac relative à Mme Brossier : "Je la connaissais bien" (Marnham travestit le sens de cette phrase par un "We know her well", outre de déformer l'orthographe du patronyme de la bonne). Or, que Lucie connaisse bien Mme Brossier ne signifie en rien que cette dernière sache à quoi s'en tenir à propos des activités du couple Aubrac.
Un élément à prendre en compte, en effet, est le retard du trio Moulin-Aubrac-Schwarzfeld : une demi-heure ou une heure, au choix. Mme Brossier a pu penser, du fait que ces individus étaient arrivés bien après les autres, qu'il pouvait s'agir de patients ordinaires, ou qu'ils ne devaient pas nécessairement se rendre à l'étage pour la fameuse réunion.
C'est là une explication couramment admise, et je ne vois pas pourquoi il faudrait en adopter une autre - au demeurant, Marnham n'apporte aucune explication, et se contente de soulever le doute, donc de compliquer une affaire déjà complexifiée à l'extrême par tant d'autres que lui... Car si Aubrac est un agent de Barbie, il se comporte ici en abruti : le plus simple pour lui serait d'amener "Max" à l'étage, au lieu de conduire ses deux collègues dans la salle d'attente du cabinet médical. Demeurer dans la salle d'attente ne change, en ce qui le concerne lui, pas grand chose.
Pour finir, si tu accordes du crédit à Mme Brossier, n'oublie pas qu'elle constitue un témoignage à charge contre Hardy : l'évasion de ce dernier était, selon elle, "bizarre". Elle a révélé que les Allemands n'avaient pas tout fait pour abattre le prisonnier en fuite, et a été surprise qu'ils l'aient raté bien que tirant d'assez près. Elle a précisé que l'un des gestapistes était armé d'une mitraillette et n'a même pas cherché à se servir de son arme... (Cordier, p. 464)
Quoi qu’il en soit, tous les participants à la réunion sont là, séparés en deux groupes. Ils n’auront plus longtemps à patienter, dans quelques minutes le drame sera joué.
Exact. Comme l'a dit Bénouville en désignant Hardy : "Judas était parmi nous" (cité in Cordier, p. 805) |