Ce livre est un samizdat de la démocratie.
Il répond point par point à celui de Chauvy contre les Aubrac, "Aubrac Lyon 1943", confus décalque des calomnies que Vergès a fait, en 1990, contresigner par son client Barbie, et que des historiens exerçant un certain magistère, mais un peu trop accablés de besogne pour prendre connaissance du dossier, avaient fort mollement critiqué, avant de prendre parti à la fois contre Chauvy (toujours assez mollement) et contre les Aubrac (très durement) lors d'une "table ronde" organisée par le quotidien "Libération".
Un livre écrit dans l'urgence, par un non-spécaliste, mû par la conviction qu'on cherchait une mauvaise querelle non seulement à deux personnes, mais à un des plus magnifiques faits d'armes de la Résistance, l'évasion du 21 octobre 1943.
Il faut dire que c'était un temps très, très déraisonnable. La chute de l'empire soviétique avait soulevé d'immenses espoirs. Enfin on allait tout savoir, grâce au miracle des archives, sur une face bien cachée du siècle : les compromissions d'une foule de célébrités occidentales avec l'hydre moscovite. Mais plus le temps passait, et moins les archives faisaient de miracles, alors il a fallu aider un peu. On avait d'abord visé de Gaulle, au travers de Moulin, et la profession historienne avait réagi avec sang-froid, estimant que les preuves invoquées prouvaient avant tout le désir de prouver de ceux qui les invoquaient.
Restaient les Aubrac, ex-sympathisants communistes qui s'étaient éloignés mais sans se renier, avaient largement passé 80 ans et se battaient depuis novembre 83 contre une insidieuse calomnie de Vergès, lequel prétendait que son client Barbie était en mesure de prouver qu'il les avait recrutés comme agents de la Gestapo lyonnaise.
Daniel Cordier, que les fondateurs de ce forum ont l'air de considérer comme un dieu intouchable, joua un rôle particulièrement néfaste. Dès le lendemain de la sortie du livre de Chauvy il déclarait à "Libération" qu'à son avis les Aubrac n'avaient pas trahi le rendez-vous de Caluire mais que "la succession des versions données par eux sur les événements qui précèdent et suivent Caluire excède les défaillances légitimes de la mémoire". Une façon de faire sortir Chauvy par la porte et de le faire rentrer par la fenêtre.
L'urgence d'une réponse explique que le livre n'invoque aucune archive inédite. Il n'utilise d'autres sources écrites que les imprimés parus sur l'affaire, et tout particulièrement les documents reproduits par Chauvy (et trouvés non par lui, contrairement à une légende-ventouse, mais, presque tous, par Vergès). En leur appliquant une méthode historique (ce que Chauvy prétend faire et ne fait nullement, se contentant d'aligner des contradictions, réelles ou prétendues), il fait apparaître que le récit des Aubrac est exact sur l'essentiel et donne à leurs aventures de 1943, pour la première fois, un statut historique.
En revanche, s'il n'y a aucun document écrit nouveau, le livre utilise abondamment, contrairement à Chauvy, les sources orales, puisqu'il fait état de nombreux entretiens avec les Aubrac et avec Serge Ravanel, permettant de préciser beaucoup de points, dans une confrontation serrée avec toutes les autres sources (c'est une des plus grandes infamies proférées dans cette affaire, que de dire que les résistants en question s'opposent au travail historique; ils sont en la matière, je puis en témoigner, de parfaits collaborateurs !).
Les 2000 exemplaires du premier tirage ne sont pas épuisés (dépêchez-vous quand même un peu !) alors que l'éditeur de Chauvy, au procès, a dit (avec un manque de précision qui laisse supposer une sous-estimation) en avoir écoulé "environ 20 000". Or les Aubrac avaient reçu environ 500 lettres de soutien dont les adresses ont été exploitées pour faire connaître le livre. Même s'il s'agit d'un petit éditeur (non par choix, mais parce que les gros s'étaient récusés) très mal diffusé, une telle performance montre, dans le public, une véritable volonté de ne pas savoir.
De tous mes livres, je pense néanmoins que c'est celui qui conserve la plus grande marge de progression.
Vous en trouverez bien entendu un résumé sur mon site, ainsi que dans la revue "Histoire de guerre" (n° 16).
François Delpla