Ce livre constitue effectivement un progrès majeur dans l'appréhension du mode hitlérien de gouvernement.
Pour autant, Florent Brayard me semble peiner à dater et à cerner ce fameux complot, et reste, à ce titre, par trop tributaire de son interprétation, discutable, du processus décisionnel ayant conduit au génocide juif, ce qui le conduit à ne pas examiner les pratiques hitlériennes des vingt années qui précèdent le second conflit mondial, s'agissant de la Judenfrage.
D'ailleurs, puisque, nous dit-on, Hitler a caché la vérité à Goebbels, qu'en a-t-il été des rapports du dictateur avec Himmler ? Hitler, dès 1919-1920, faisait valoir que "le Juif, cette sangsue, doit être exterminé" alors que vingt ans plus tard, en mai 1940, Himmler en est encore à condamner la "méthode bolchevique de l'élimination physique d'un peuple comme contraire à la germanité et impossible" - même si la décimation des Juifs de Pologne, parqués dans des ghettos insalubres et surpeuplés, est à l'oeuvre depuis 1939. Ne peut-on pas considérer, dès lors, que Hitler, ayant très tôt conçu d'assassiner massivement les Juifs, mais conscient du caractère sacrément transgressif d'un tel fantasme, l'aurait gardé pour lui seul pendant des années, le taisant même aux cadres du Parti ?
Par ailleurs, l'analyse de Florent Brayard ne me convainc pas toujours, y compris sur la date à laquelle Goebbels aurait pris connaissance de la nature de la "Solution finale", ou encore s'agissant de son interprétation de la conférence de Wannsee. Pour troublants que soient certains arguments, divers indices contraires sont laissés de côté, évoqués certes, mais en passant, sans leur accorder l'attention nécessaire. Je me retrouve du coup dans la situation paradoxale de celui qui approuve la conclusion, mais qui considère que l'exemple n'est pas le mieux choisi.
Ces objections, de ma part, ne doivent tout de même pas remettre en cause l'apport essentiel de cet ouvrage, qui marque une étape décisive dans l'historiographie du génocide juif et du nazisme, dans sa perception du mensonge dans l'exercice du pouvoir par Hitler. J'espère pouvoir me livrer bientôt à une analyse plus approfondie de l'ouvrage (pas gagné, vu mon emploi du temps). |