Les faits sont pourtant là : la théorie de Rezun repose sur des manipulations de textes, la seule rigueur dont fait preuve son auteur est celle de la malhonnêteté intellectuelle, et les rares cas d'erreurs de manifeste bonne foi découlent de sa flagrante incompétence.
Les allégations du
Brise-Glace n'en ont pas moins eu un écho retentissant en Allemagne de l'Ouest, à la fin des années 80, dans la mesure où elles ont offert un corpus "argumentatif" à certains historiens - ou de purs charlatans, tels que Joachim Hoffmann - se revendiquant de droite et soucieux d'assimiler le régime nazi au système stalinien. La criminalité de ces deux gouvernements et les millions de morts résultant de leurs idéologies respectives ne suffisaient pas : comme Hitler avait été agressif, il fallait que Staline le fût aussi.
Ce raisonnement a d'autant plus prospéré qu'il s'inscrivait dans la Guerre Froide, laquelle avait généré un courant historiographique non négligeable, quoique pas toujours assumé, tant en Allemagne occidentale qu'aux Etats-Unis et en Grande-Bretagne, selon lequel l'armée allemande avait mené une guerre de professionnels contre les hordes barbares soviétiques. "Suvorov", sans s'en cacher, franchissait une étape qui amènerait la plupart de ces "historiens" à marcher sur ses pas, puisqu'il transformait l'opération
Barbarossa en frappe préventive. Dieu bénisse donc Hitler d'avoir su percer Staline à jour et de nous avoir évité une "libération" de l'Europe de l'Ouest !
Plusieurs historiens ouest-allemands, puis allemands, ayant néanmoins réfuté efficacement ces balivernes, ces dernières ont proliféré en Russie post-communiste néo-loi de la jungliste, à l'occasion de la grande libéralisation historiographique consécutive à la chute de l'Histoire officielle du Parti. L'effervescence politique était telle que Rezun ne pouvait qu'y trouver des zélateurs, sachant que même d'authentiques communistes y trouvaient finalement leur compte. Un Melthioukov, par exemple, dans
Upuŝennyj šans Stalina (L'occasion manquée de Staline, Moscou, Veče, 2000), estimait que l'invasion de l'Europe par l'Armée rouge en 1941 aurait permis d'écraser plus rapidement le nazisme.
Peut-être par manque d'expérience, mais surtout parce que la mémoire de la Deuxième Guerre Mondiale et du stalinisme révèle encore de multiples tensions, l'historiographie russe reste polluée par cette vaine controverse, qui assure la notoriété des "rezunistes" du seul fait qu'elle existe. Plusieurs historiens russes sont néanmoins parvenus à tailler en pièces - et souvent plus efficacement que leurs homologues américains, britanniques ou allemands - les foutaises que cette secte propage : Alexei Isaev, Lev Lopukhovski, etc.
Quant à la Ligne Staline,
elle n'a pas été totalement détruite : c'est l'un des bobards de "Suvorov" qui continue d'emporter bien des suffrages. Mais j'y reviendrai ce W.E.