Récapitulons l’emploi du temps de Jean Moulin de fin janvier 43 au 20 mars
Cette période de la vie de Jean Moulin est traitée avec des variantes suivant les auteurs. Or les archives de la RAF détaillant la date des ramassages des résistants, le lieu, les coordonnées géographiques, les circonstances ne se trompent pas. Nous les devons à Hugh Verity, qroup captain commandant le groupe 161 de la base secrète de Tangmere en Angleterre d’où sont partis les Hudson et les Lysanders. Voici un très court aperçu.
Le 27 janvier 43 Jean Moulin arrive au château de Villevieux, arrondissement de Lons-le-Saunier, canton de Bletterans chez Melles Bergerot et Mme Würtz. Il compte prendre le Lysander pour l’Angleterre. Il est vêtu comme un chauffeur de camion avec un béret basque.
Malheureusement Il ne partira pas ces jours ci. Voilà plusieurs semaines qu’il compte embarquer pour Londres mais ce temps d’hiver n’est pas propice aux vols des Lysanders et d’autres aléas viennent en contrecarrer plusieurs.
Le 26 /27 janvier près d’Issoudun par 46° 55’ 40" N et 02° 10’ 34" E, le Lt.col.Pickard dépose en France Pierre Brossolette et ramène en Angleterre Massigli et Manuel mais au retour il se perd dans les nuages et atterrit sur un aérodrome de fortune, les réservoirs à sec.
Tous ses vols de nuit ne sont pas une partie de plaisir. Il n’y a pas de radar emporté sur le Lysander. Le système « GEE » a été essayé mais il fait dévier le compas d’une trentaine de degrés ( l’hélice ?). Il faut donc compter sur la lune, qu’il n’y ait pas de nuages et il faut repérer les villes au sol.
Premier repère, la ville de Cabourg et il faut gagner la Loire où l’on sait que dans un certain couloir il n’y a pas de DCA allemande. Rien ne ressemble plus à 2000 m que Angers et Tours au clair de lune.
Donc après le premier épisode de Villevieux, Jean Moulin rentre à la … maison.
Le 9 février 43 il inaugure en grande pompe la galerie « Romanin » à Nice 22 rue de France. Le préfet et le maire (nommé par Pétain) sont de la réception.
Pendant la réception le portrait de Pétain se détache et tombe sur le sol…
Dans l’après-midi du 13 février ( selon Hugh Verity et non pas le 11 ou le 12 ou bien encore le 15 comme le dit Pierre Péan ) chez les dames du château de Villevieux, Jean Moulin qui somnolait fait un bon. Il vient d’entendre à la BBC : « la maman de Léontine fête ses 28 ans ». « Léontine » c’est le nom de code du terrain. C’est pour cette nuit du 13 au 14. Jean Moulin et Delestraint se retrouvent avec l’agent Boutoule (Sif B) et Paul Rivière qui viennent préparer et éclairer le terrain situé par 46° 43' 45" N et 05° 29' 09" E.
Trois Lysanders arrivent. Pendant que le Lysander de réserve piloté par le commandant Hugh Verity tourne au-dessus du terrain en cas de besoin, les deux autres ont 3 minutes pour se poser et redécoller.
En effet les moteurs restent en marche car il faut beaucoup d’énergie pour faire tourner l’hélice du Lysander et les pilotes ne peuvent risquer de tirer sur les batteries.
D’autre part silence Radio.
Enfin dans la nuit, les habitants à un ou deux kms entendent qu’il se passe quelque chose. Si le bruit se prolonge, certains vont arriver par curiosité. N’a-t-on pas vu lors de certain « pick-up » ou le Lysander s’était embourbé, des riverains afflués en nombre pour prêter main-forte et risquer des réveiller les autorités allemandes.
Descendent des 2 Lysanders le colonel Manhès et 2 résistants R.Héritier et « Kim A ?» Mais les pilotes ne connaissent pas les noms des résistants et ce n’est qu’après coup qu’ils reconstitueront « qui vole avec qui »
Le 1er avion s’envole avec le général Delestraint et un résistant. Dans le deuxième se passe un curieux incident : En prenant l’échelle qui le même à l’habitacle, Jean Moulin entend Manhès au sol dire « N’y allez-pas ! ». Jean Moulin essaye de comprendre mais Pierre Boutoule le pousse dans l’habitacle : « j’ai reçu l’ordre de vous y envoyer, partez ». (interview de Boutoule après la guerre)
C’est probablement Mac Cairns qui sera le pilote de Moulin ( ? )
Le voyage vers la base de Tangmere sera sans problème. Confirmation pour les dames du château de Villevieux dans un message de la BBC : « Entre loup et chien, tout s’est bien passé »
Le même jour, le 14 février, jour de son arrivée, le général De Gaulle remet la Croix de la Libération au « Caporal Mercier » (nom de guerre donné par Moulin) dans une intense émotion. En attestent plusieurs témoins dont Passy.
Le 16 février 1943 à Vichy, Laval crée le STO. Tout le monde prévoit qu’il y aura un afflux de jeunes dans les maquis.
Le 21 février De Gaulle crée « le Conseil National de la Résistance » qui sera présidé par Jean Moulin et dont la 1ere réunion se tiendra le 27 mai 1943 à Paris 48 rue du four 1er étage chez Mr Corbin (près du croisement de la rue de Rennes)
L’essentiel des démarches avec la « France libre » étant accomplie, Jean Moulin veut revenir en métropole.
Dans la nuit du 24 au 25 février soit 10 jours après son arrivée à Londres, il repart dans un Lysander avec pour pilote le commandant Hugh Verity
Laissons parler Hugh Verity :
« Je n’avais qu’un passager au départ. C’était un Français d’une certaine autorité, à en juger par son maintien. Il ne portait pourtant qu’un costume et un pardessus très quelconque et un feutre. Son écharpe dissimulait mal des cicatrices du cou dont j’appris qu’elles étaient dues à une tentative de suicide dans une prison allemande. J’ai su par ailleurs qu’il était préfet de Chartes. »
Ils doivent se poser près de Chateauroux au sud d’Issoudun par 46° 55’ 40" N et 02° 10’ 34" E. Mais presque sur l’ensemble du parcours, aucun trou dans la couche de nuages. Le pilote décide de faire demi-tour. Il a dévié de sa course et se présente au-dessus de Cherbourg au lieu de Cabourg mais la DCA allemande est là. Les projecteurs allemands s’allument et sans se soucier du confort de son passager, le pilote se lance dans une soudaine descente en vrille pour échapper au brillant rayon bleuâtre.
Le relèvement d’Angleterre lui permet d’approcher l’aérodrome de Tangmere mais ici autre problème : le brouillard intense noie le terrain. Il a fait onze approche sans se poser mais il faut que la douzième soit la bonne. Et il se pose. Il a du faire un atterrissage de 10 m de hauteur. Le Lysander tomba dans un craquement formidable… la queue remonta en formant un angle de 45° tandis que l’appareil baissait le nez… pales de l’hélice tordues…tronçon brisé du train d’atterrissage.
« Je m’inquiétais de mon infortuné passager, dit Hugh Verity. Je m’étonne encore que le Lysander n’ait pas pris feu car il y avait encore quelques gouttes d’essence… Mon passager de marque parvint à faire glisser son toit et sortit….je me confondis en excuses dans mon mauvais français. Il n’aurait pu être plus charmant et alla même jusqu’à me remercier pour « un vol très agréable ».
Le lendemain, nuit du 26 au 27, Même chose. Avec son illustre client, Hugh Verity essaya de rejoindre le même terrain mais il a aperçu sur les lieux « un signal lumineux de danger » et revint à Tangmere.
Presque 4 semaines passèrent où la lunaison et le mauvais temps n’étaient pas favorables.
Dans la nuit du 19 au 20 mars Jean Moulin, Delestraint et C.Pineau s’embarquèrent pour de bon, piloté par le capitaine Bridger dans des conditions très inconfortables. N’oublions pas que le Lysander est conçu que pour un seul passager. L’un d’eux assis en tailleur au pied des 2 autres. Il gagnèrent un terrain à Saint Yan près de Roanne par 46° 24’ 45" N et 04° 01’ i4" E. **
Actuellement 65 ans après, cette piste est aménagée comme un vrai terrain d’aviation goudronné alors qu’elle est loin de toute agglomération ( ? )
« Rarement dans l’Histoire, un aussi grand nombre a été redevable à un aussi petit nombre »(Churchill)
* Hugh Verity « Nous atterrissions de nuit » 1978 Édition France-Empire
**toutes ces coordonnées peuvent être retrouvées sur Google Earth. |