> J'ai souvenance d'avoir recueilli cette interprétation
> lorsque j'écrivais mon livre Aubrac, les faits et la
> calomnie, dans l'été 1997, de la bouche de Serge Ravanel.
> Quelqu'un l'aurait-il formulée antérieurement ?
L'hypothèse "bureaucratique", à savoir le fait que les erreurs du rapport Kaltenbrunner du 29 juin 1943 résultent de la "lenteur" du mécanisme administratif de transmission des dossiers de la Gestapo, et qu'il reproduit donc des assertions développées par Klaus Barbie le 21 ou, plus probablement, le 22 juin 1943 (voire même le 23 pour certains, ai-je vérifié), a été énoncée voici soixante ans, par un protagoniste bien connu de l'affaire.
Voici ce que proclamait cet homme, le 8 mai 1950 : "[Le rapport Kaltenbrunner] est daté du 29 juin, c'est à dire qu'il a été visé à Berlin le 29 juin. On peut bien supposer, à en juger par son volume, qu'il a fallu deux jours pour qu'il passe par les bureaux et soit paraphé. Il a donc dû arriver vers le 27. D'où venait-il ? Nous le savons. De Paris. D'où il était parti le 25. Les services de Paris le tenaient de Lyon, d'où il était parti le 23."
Ne nous laissons pas abuser par l'apparente certitude de cet homme. Il ne fait qu'émettre des hypothèses, pour le moins crédibles comme on le sait.
L'auteur de ces remarques n'est autre que Maurice Garçon, l'avocat de René Hardy, au cours de sa plaidoirie du 8 mai 1950 dans le cadre du second procès intenté à son client (Maurice Garçon, Plaidoyer pour René Hardy, Fayard, 1950, p. 141).
Au moins ce grand avocat a-t-il le mérite de soulever une hypothèse qui échappera à moult historiens, dont visiblement Jacques Baynac, qui s'abstient d'en faire mention dans son Présumé Jean Moulin pour lui préférer la thèse d'une "désinformation" pratiquée par Klaus Barbie à destination de ses supérieurs hiérarchiques.
On sait que d'autres historiens, tels que Daniel Cordier, reprendront l'hypothèse "bureaucratique" à leur compte. Jacques Baynac prétend avoir lu ces ouvrages, et notamment celui de Maître Garçon dont il reprend l'essentiel de son argumentaire - notamment en ce qui concerne la délirante évasion de René Hardy du 21 juin 1943. Mais il n'évoque point cette explication. Il ne la discute pas. Il l'écarte. Encore que... admettons que ces passages lui aient échappé. En ce cas, l'idée ne lui effleure même pas l'esprit.
Or, cette explication est autrement plus logique et convaincante qu'une théorie du complot faisant de Barbie un diabolique désinformateur mentant à ses supérieurs parisiens et berlinois.
Reste que Barbie prend connaissance de l'arrestation de "Max" dans la soirée du 21 (témoignage d'Henri Aubry) ou dans la journée du 22. Or, si le rapport Kaltenbrunner mentionne des perquisitions effectuées le 22 juin, il signale que "Max" n'a pas été arrêté. Mais Barbie a peut-être cherché à ne point trop s'avancer dans son rapport préliminaire, afin d'éviter d'avoir la mauvaise surprise de considérer que "Max" ne faisait finalement pas partie des raflés, ce qui est somme toute prudent et parfaitement logique. Peut-être son rapport a-t-il été mal interprété par ses supérieurs parisiens avant d'en transmettre les informations à Berlin, ce qui est tout aussi crédible. Hypothèses, oui, mais bien plus convaincantes encore une fois que la "désinformation" barbiesque, laquelle ne reste... qu'une hypothèse. |