Bonjour,
Les archives déclassifiées de l'OSS/CIA utilisées par F. Calvi font apparaître les premières traces écrites sur la Shoah au printemps 1941.
Leur auteur est un consul chilien en poste à Prague, Gonzalo Montt Rivas, pronazi militant manipulé par les services de Schellenberg qui le considèrent comme un agent du SD.
La Tchécoslovaquie ayant été démembrée, l'ancienne capitale s'est vidée de son personnel consulaire. Les nazis n'ont autorisé qu'une seule légation chilienne à réouvrir pour tout le Reich : celle de Montt Rivas qu'ils considèrent comme un allié. Bientôt, von Neurath, jugé trop mou par Berlin, est remplacé par le chef du RSHA, Reinhardt Heydrich. Le processus visant à l'extermination va s'accélérer.
Le consul, choyé par les nazis, est tenu régulièrement informé des décisions les plus secrètes des hauts dignitaires du régime. Ainsi, il est au courant dès le 24 juin 1941 de la mission d'extermination des Einsatzgruppen sur le front de l'Est. Puis, à la suite d'une visite d'Himmler à l'une de ses formations de tueurs en activité, Himmler s'étant trouvé mal au cours d'une fusillade, le consul est très vite au courant de la mise en route du programme industriel d'extermination décidée par Hitler, Himmler et Heydrich. Comme l'écrit F. Calvi, le consul chilien pronazi a un balcon sur l'Holocauste. Il est même mieux informé que certains des dignitaires nazis de la mise en route de la Shoah.
Calvi cite le chercheur Richard Breitman qui a écrit :
"Deux mois avant la conférence de Wannsee, le consul a été capable de prévoir la destruction du sémitisme par le nettoyage des juifs d'Europe. Les objectifs des nazis n'étaient plus ni vagues, ni rhétoriques, ni métaphoriques. L'Allemagne poursuivait sa politique de génocide."
Dans un télégramme, le consul parle très précisément de la prison de la Gestapo transformée en camp de concentration et de transit situé dans la ville de Terezin. (Slovaquie) et cela en novembre 1941, alors que les travaux sont toujours en cours. Là encore, Montt fut informé très vite.
Suivons F. Calvi :
Soixante ans plus tard, les traductions anglaises des câbles du consul sont exhumées des archives de la CIA. Comment sont-elles arrivées là ? Les traductions ont été réalisées peu après l'envoi des câbles par le consul. Presque toutes portent la mention : "en provenance d'une source très secrète". Un anglicisme qui trahit leur provenance : la formule est employée exclusivement par les services secrets de Sa Très Gracieuse Majesté. Les services secrets britanniques (MI-5 et MI-6) ont chacun leur propre programme d'interception systématique du courrier diplomatique. (...) Le MI-6 s'occupe des représentations diplomatiques à l'étranger. Avec une prédilection pour les Latino-américains dont la neutralité bienveillante attire les confidences allemandes. Les dépêches du consul Montt font donc partie des toutes premières sources d'information sur les débuts de l'Holocauste. Après les avoir interceptées, les Britanniques en ont fait une traduction, qu'ils ont communiquée aux Américains, généralement avec un certain retard, qui va de trois à cinq mois. (p. 44-45)
On constate qu'une source consulaire très bien informée, située au cœur de l'événement le plus considérable de la Seconde guerre mondiale (F. Calvi) n'a pas été sérieusement prise en compte par les services de renseignement alliés.
La première explication donnée par des chercheurs et relayée par Calvi est que les Alliés se préoccupaient uniquement de gagner la guerre, au point de ne pas voir les destructions en cours. Citant l'historien Richard Breitman, il écrit "Aucun document, si important soit-il, n'aurait pu changer la perception dominante à l'intérieur des nouveaux services secrets américains : ils devaient se concentrer sur les moyens d'aider à gagner a guerre."
Dit plus brutalement, cela signifie que l'information et la sensibilisation urgente des pouvoirs politiques et militaires alliés au sort des juifs dans les pays occupés par l'Allemagne ou dirigés par des régimes collaborationnistes n'était pas à l'ordre du jour à Washington et à Londres. Le sauvetage des juifs n'était pas une priorité.
J'y reviendrai avec les archives consacrées à la conférence des Bermudes.
(A suivre)
Cordialement,
RC |