Bonsoir,
Ce petit ouvrage de Cassius, qui traînait au fond d'un carton parmi d'autres vieilleries, me laissa longtemps perplexe. Plus proche du pamphlet que de l'analyse historique, le livre n'était pas vraiment convaincant ... excessif dans ses démonstrations seulement étayées par l'une ou l'autre phrase hors contexte. Néanmoins, j'adhérais globalement à la conclusion que *** Ph. Pétain, puissamment soutenu et porté par les groupes dits "nationaux", lesquels exécraient, pour des raisons d'ordre social, l'idée d'une guerre qui pouvait amener "l'écroulement des régimes autoritaires", a tout fait pour que, si cette dernière éclatait cependant, elle ne achevât point par une "victoire de la France", victoire dont la pensée "faisait frémir" les "honnêtes gens". Ces dispositions du Maréchal étaient connues de l'ennemi qui les employaient à son avantage. *** (page 217).
Je me garderai toutefois de laisser le mot de la fin à Henri Guillemin.
Quelques réflexions!
- Pétain avant guerre: "Il n’appartenait à aucun complot, aucune manigance, il ne militait dans rien." (Serge Desbois). Nous ne disposons guère d'informations à ce propos tant était grande la discrétion de Pétain. N'aspirait-il qu'à une existence bien tranquille ou restait-il à l'affût des opportunités pour accéder aux plus hautes marches du pouvoir. Le Ministère de la guerre, l'ambassade de France en Espagne? Pour un vieil homme sans ambition apparente, ce n'était pas une sinécure de paisible retraité.
Rien ne prouve que Pétain fut membre du CSAR (Cagoule) ou des réseaux Corvignolles. Toutefois, il semble bien qu'il en était proche. Pour quelle raison est-il approché par Loustaunau-Laceau pour prendre la tête d'une éventuelle insurrection? Pétain refusa... évitant de lâcher la proie pour l'ombre...? Notons que Loustanau-Laceau était un familier sinon un protégé de Pétain. Ce dernier lui vouait une affection certaine jusqu'à le prendre comme chef de cabinet au Ministère de la guerre.
L'amiral Auphan dans son livre "Histoire élémentaire de Vichy" tout à la gloire du régime de Vichy et de la Révolution nationale, livre un phrase qu'il est loisible d'interpréter d'une manière ou d'une autre: "A Madrid, le Maréchal s'employa auprès de Franco à s'assurer la neutralité de l'Espagne en cas de conflit".
- Pétain en juin 1940.
L'examen de ces journées dramatiques nous révèle un Pétain extrêmement habile et manipulateur qui, sans jamais "se mouiller" lui-même, pousse ses pions en avant pour préparer le terrain et éliminer toutes velléités de résistance. C'est Weygand qui est chargé d'imposer l'armistice. Daladier, Reynaud, Herriot sont balayés ou contraint de s'effacer. Quant au président de la République, Albert Lebrun, il n'existait plus avant même de démissionner. Ce qui frappe c'est la discrétion de Pétain! Attend-il son heure? La journée du 10 juillet? Quelques petites phrases tout de même (à la manière de Cassius il est vrai): Edward Spears, le représentant de Churchill, note, début juin, que "l'homme éteint des premiers jours devient vif comme si la défaite le réjouissait". A l'ambassadeur de Franco en France, Pétain déclare, le 5 juin: "Lebrun n'est qu'un serviteur des partis (...), qu'un coup d'Etat serait nécessaire s'il voulait prendre le pouvoir, mais c'est une chose grave" (*). Deux semaines plus tard, Baudouin demande à Pétain ce qu'il fera si Lebrun refuse de rester en France: "Je le ferai arrêter"(*), répond Pétain.
Enfin le 10 juillet, l'Assemblée est réunie à la hâte à Vichy. C'est à Laval que Pétain confie le soin de régler l'auto-dissolution du régime. "Je ne veux pas voir ces gens-là" (*) dit-il des parlementaires. "Je refuse d'adresser un message à l'Assemblée" (*). La tâche de Laval est aisée. Muni du blanc-seing de Pétain pour s'exprimer au nom de son autorité, Laval n'a aucune peine pour soumettre l'Assemblée, trop heureuse de trouver un refuge commode à leur désarroi et croyant retrouver un semblant de légitimité derrière le prestige du Maréchal. Ce dernier, installé à l'hôtel du Parc, attend patiemment que sombre la République. Par 569 voix contre 80 et 20 abstentions, l'Assemblée nationale - Sénat et Chambre des députés réunis - donnait "tout pouvoir au gouvernement de la République, sous l'autorité et la signature du maréchal Pétain, à effet de promulguer par un ou plusieurs Actes, une nouvelle Constitution de l'Etat français...". Cette Constitution ne fut jamais rédigée, ni bien entendu ratifié. Ce même jour, à l'issue du vote, Pétain, avec un art consommé de la dissimulation, se présente devant l'Assemblée, sort une feuille de papier de sa poche et énumère la liste des ministrables.
Le lendemain, 11 juillet se joue le dernier acte de la comédie lorsque paraît le premier des Actes de Pétain, qui renvoie les Chambres avec cette formulation qui surprend tout le monde: "Nous, Philippe Pétain, chef de l'Etat....". Marc Ferro affirme que Laval aurait maugréé : "Voilà comment on assassine une République" (*).
(*) Les citations sont de Marc Ferro, historien, auteur de Pétain (Editions Fayard, 1987).
Bien cordialement,
Francis. |