Bonsoir ou bonjour,
Dans sa préface à l'édition de 2001, Sonia Combe mentionne le procès intenté - et perdu - par Maurice Papon contre Jean-Luc Einaudi, l'auteur de La bataille de Paris : 17 octobre 1961 qui avait décrit le rôle du préfet de Paris (Papon) dans la terrible répression des forces de police qui tuèrent des dizaines d'Algériens au cours de cette nuit sanglante. C'est pour avoir témoigné durant ce procès de la réalité historique du massacre et de son ampleur décrite dans les rapports conservés par leur soin que les deux archivistes Brigitte Lainé et Philippe Grand avaient été soumis à des menaces. Elle écrit :
Il (Papon) perdit finalement, le tribunal ayant reconnu qu'un massacre d'Algériens avait bel et bien été perpétré le 17 octobre 1961 par des forces de police agissant sous ses ordres. En revanche, le soir même de leur déposition, Brigitte Lainé et Philippe Grand faisaient l'objet de menaces de sanctions et une enquête administrative était immédiatement déclenchée par la direction des Archives de France, au motif d'un manquement au "devoir de réserve". (...)
Ce n'est pas à la solidarité de leurs collègues qu'ils durent leur salut, mais à la priorité de la justice sur le "devoir de réserve".
Elle oppose l'étude de Jean-Luc Einaudi, visiblement considéré comme un auteur historiquement incorrect par le pouvoir et les responsables des archives, au livre contestable car nettement plus complaisant envers la mémoire officielle de Jean-Paul Brunet, Police contre FLN. Le drame d'octobre 1961 qui bénéficia, lui, des dérogations nécessaires pour l'accès aux cartons sensibles.
Autre affaire citée en exemple par Sonia Combe éclairant les pressions mandarinales exercées par des conservateurs et des historiens "en cour" à l'encontre de chercheurs moins conciliants, celui d'Annie Lacroix-Riz qui, dans son ouvrage sur "Industriels et banquiers français sous l'Occupation : la collaboration économique avec le Reich" (Armand Colin, Paris, 1999), osa l'hypothèse que la hausse de la production de Zyklon B en France par la firme Ugine-Degesh de 1941 à 1944 pouvait avoir un lien avec la mise en service des chambres à gaz. L'ampleur de la réaction qu'elle déclencha laisse perplexe. Lorsqu'on sait qu'elle émanait, par hommes liges interposés, de chercheurs intronisés en archives, elle surprend moins.
Voilà deux exemples d'une Histoire confisquée par rétention d'archives et pressions mandarinales qui mérite d'être (re)lue.
Bien cordialement,
RC |