Bonsoir,

Je fus impressionné par la lecture de l'opuscule "Inconnu à cette adresse" de Kressmann Taylor. Il s'agit d'une "nouvelle", genre littéraire très prisé aux Etats-Unis, composée d'une vingtaine de lettres échangées entre deux amis. Le premier réside aux Etats-Unis; le second s'est établi en Allemagne au début des années 30. Le lecteur participe, effaré, à une véritable descente aux enfers. Ce n'est pas tant le contenu du livre qui trouble mais le fait qu'il fut écrit et publié en 1938 alors que la nature du régime nazi était encore relativement méconnu. Je me garderai de dévoiler la trame du livre et me contenterai de citer quelques courts extraits significatifs des lettres de l'ami allemand.
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25 mars 1933.
.... L'homme [Hitler] électrise littéralement les foules (...) Mais je m'interroge: est-il complètement sain s'esprit? Ses escouades en chemises brunes (...) Mais il ne s'agit peut-être là que d'incidents mineurs: la petite écume trouble qui se forme en surface quand bout le chaudron d'un grand mouvement...

9 juillet 1933
... Si seulement je pouvais te montrer - non t'obliger à constater - la renaissance de l'Allemagne sous l'égide de son vénéré Chef...

18 août 1933
... Tu dis que nous persécutons (...) est-ce que le chirurgien qui enlève un cancer fait preuve de ce sentimentalisme niais? Il taille dans le vif, sans états d'âme. Oui, nous sommes cruels. La naissance est un acte brutal; notre re-naissance aussi. Mais quelle jubilation de pouvoir enfin redresser la tête! Comment un rêveur comme toi pourrait-il comprendre la beauté d'une épée dégainée? C'est ce qu'est notre Führer (...)
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Ce processus d'adhésion à la politique d'un homme et d'un régime criminel est-il inéluctable? Que n'a-t-on pas dit - les plus brillants intellectuels en tête - à propos d'autres régimes autoritaires? Et de faire valoir, en guise d'excuse, la nécessité de l'acte brutal pour construire un monde meilleur? "La petite écume trouble"? Et de nous poser la question sur l'adhésion à une idéologie ou à une politique dont on croit connaître les tenants mais dont on ne perçoit plus les aboutissants. L'histoire repasse-t-il les plats?

Bien cordialement,
Francis.