Bonsoir, Nicolas,
D'abord, quelques précisions pour ceux qui ne me connaissent pas : Je n'ai aucune attache affective ou idéologique avec Vichy ou avec l'un de ses dirigeants. Une réhabilitation de Vichy n'a tout simplement aucun sens pour moi. Je ne juge pas Vichy, mais je juge sévèrement les historiens qui font mal leur boulot en se faisant juges. Je les juge d'autant plus sévèrement que j'estime que par leurs entorses à la démarche historique, ils ouvrent des boulevards à des gens pour lesquels je n'ai aucune sympathie.
En cela, je suis en phase avec Alain Michel. Pour autant, tout ce qu'il dit ou écrit n'est pas pour moi parole d'évangile, notamment lorsqu'il lui prend l'envie d'attribuer « principalement » le faible score de déportation à la politique de Vichy plutôt qu'à l'action des Justes des églises etc... Je l'ai déjà dit dans un dernier post, ce sont des choses indémontrables. Je ne suis donc pas d'accord non plus avec la phrase « je pense que ce qui caractérise cette période, c'est avant tout l'indifférence totale des Français. Les gens n'avaient rien à faire du sort des juifs, cela ne les dérangeait pas trop, parce qu'il existait une ambiance antisémite en France et en Europe depuis les années 1930 environ. », c'est l'envers de la position Klarsfeldienne qui tend à mettre en avant les actions de sauvetage. J'aime que les deux points de vue soient exprimés, mais aucun des deux ne doit avoir la prétention de l'emporter sur l'autre.
Quelques points particuliers :
- Pétain antisémite, Laval et Bousquet pas antisémites.
C'est ce que disent en général les biographes desdits personnages. Enfin, pour Bousquet, la seule biographe - peu complaisante - est Pascale Froment, qui ajoute, après le passage que tu cites, p.271 de ton édition et p.273 de la mienne : «
Laval, Bousquet et Cado n'étaient-ils pas ravis de se débarrasser d'étrangers qu'ils n'avaient pas invités » Cynisme de Bousquet, donc, mais ici, on retrouve Michel plutôt en phase avec Froment. Pour le juif étranger, ce n'était pas mieux d'être arrêté par cynisme que par antisémitisme.
- La déportation des enfants en juillet 1942
Que Laval ait le premier parler de ne pas séparer les enfants des enfants, personne ne le conteste, et Michel cite dans son livre un courrier de Dannecker très voisin de celui que tu cites (p.237). Et dans son livre, il ne signale pas que l'administration française ait été prévenue au dernier moment.
Alors où est le truc ? Très improbablement dans une supposée « ignorance crasse » de Michel qui connait bien son sujet, tu le sais (J'admire beaucoup l'ensemble de ton œuvre, ton érudition, et même ta nature entière, mais pourquoi ce vocabulaire à l'emporte pièce hérité de Vychinski?). En fait, Dannecker ne prenait pas ses décisions pour faire plaisir à Laval, mais plutôt pour faire plaisir à Eichmann. Asher Cohen signalait déjà (p.269) que le 13 juillet au soir, la police municipale avait la directive de ne pas arrêter les enfants de moins de 16 ans, et pourtant lors de la rafle du 16-17, ils furent arrêtés. Alain Michel s'en était expliqué en 2012
ici.
Emmanuel